Sans surprise, le favori l’a emporté : vendredi, Ebrahim Raeissi, le chef de l’Autorité judiciaire et candidat favori du Guide Suprême Ali Khamenei, a été élu président de la République islamique d’Iran avec 61,95 % des votes dès le premier tour. Après huit ans d’une présidence réformatrice, l’Iran bascule à nouveau dans le camp des conservateurs, et les premières analyses voient en Ebrahim Raeissi la marque d’un repli sur soi. Mais peut-on réellement parler de « choix » pour les 60 millions d’Iraniens appelés aux urnes ? Le chiffre le plus commenté est naturellement celui de l’abstention, très significatif : 51,2% des Iraniens en âge de voter ne se sont pas déplacés le jour de l’élection. Et d’après les chiffres officiels, le ministère iranien de l’Intérieur a comptabilisé près de 3,7 millions de votes blancs ou nuls.
En vérité, tout avait été préparé de façon à ce que l’issue du scrutin ne fasse aucun doute. Depuis mai, c’est le choix du Guide Suprême Ali Khamenei qui a eu la préséance sur celui de la population. En faisant écarter tous les candidats réformateurs, ainsi que les meilleurs concurrents d’Ebrahim Raeissi chez les conservateurs, le régime confirmait une tendance de plus en plus manifeste : son souhait de voir la sphère religieuse prendre définitivement le pas sur le fait politique. Si la République islamique avait conservé depuis sa fondation en 1979 ce double impératif de la légitimité religieuse et populaire obtenue par la voie démocratique, l’idéal révolutionnaire de l’Imam Khomeini semble désormais appartenir au passé. Peu dupes de la parodie d’élection qu’on osait leur offrir, plus de la moitié des Iraniens ont donc choisi sciemment de bouder les urnes, tant au sein des classes populaires que des milieux aisés. Pas de choix ? Pas de vote !
La personnalité choisie par l’aile dure du régime est néanmoins particulièrement inquiétante pour l’avenir du pays, tant sur le plan domestique que diplomatique. En Iran même, Ebrahim Raeissi est considéré comme un ultraconservateur, un positionnement que résument très simplement les principes idéologiques auxquels il croit fermement : un régime islamique et non républicain, une économie fermée et autosuffisante, un refus de négocier avec l’Occident. Sa carrière, menée au sein de l’appareil judiciaire de la République islamique, et son passé politique témoignent d’une personnalité redoutablement efficace sur le plan sécuritaire et répressif. Procureur général adjoint du tribunal révolutionnaire de Téhéran en 1988, son nom est associé à l’exécution illégale de près de 5000 prisonniers politiques iraniens, dont une majorité de membres de l’Organisation des Moudjahidines du Peuple, qui pour sa part porte le chiffre à 30 000 personnes exécutées. Un triste fait de gloire qui s’inscrit dans une certaine logique, Ebrahim Raeissi ayant notoirement consacré sa jeunesse et sa carrière au service de l’arrestation et de l’exécution des critiques de la République islamique dès 1979. De même en 2009, sa dureté face aux manifestants du Mouvement Vert qui contestaient l’élection de Mahmoud Ahmadinedjad a marqué les esprits, tout comme les peines de prison d’une extrême sévérité infligée à des militants des droits de l’homme ou de simples écologistes, sans oublier des décès de prisonniers dont les circonstances ont été passées sous silence. Ce pedigree a tout de même valu au nouveau président de la République d’avoir été placé sous sanctions par le Secrétariat américain au Trésor en novembre 2019, à l’instar d’autres personnalités du régime.
Les commentateurs s’interrogent ainsi sur la capacité de l’Occident à pouvoir dialoguer avec un tel homme, tandis qu’en Iran, on s’inquiète d’une poursuite de l’ostracisation du pays sur la scène internationale. La gestion du dossier le plus brûlant, celui du nucléaire iranien, pourrait néanmoins tempérer ces craintes. Contempteur, à l’instar de nombreux conservateurs, du JCPoA (l’accord nucléaire) en 2015, Ebrahim Raeissi déclare aujourd’hui qu’il ne s’opposera pas à la signature d’un nouvel accord. Il reste, après tout, le dauphin désigné du Guide Suprême, seul véritable chef de l’Etat iranien, et seul à même de décider des négociations en cours. Or, le but d’Ali Khamenei reste en effet, avant toute considération idéologique, de libérer l’Iran des sanctions économiques qui lui sont imposées depuis trois ans et l’asphyxie en dépit des manœuvres de contournement qu’il a su mettre en œuvre pour survivre. Raeissi aura donc tout intérêt à suivre ce pragmatisme s’il souhaite succéder à son mentor, une perspective que sa présidence lui permettra d’atteindre a priori sans difficulté.
La seule, et non des moindres, que le nouveau président ferait bien de ne pas sous-estimer, est l’exaspération de la population iranienne. Sous l’égide de ce nouveau président rigoriste, les Iraniens s’attendent en effet à des jours particulièrement sombres sur le plan des libertés publiques. Déjà largement désabusés par la situation politique et économique de leur pays, nombreux sont ceux à rester persuadés que seule une véritable ouverture vers l’Occident permettra à l’Iran de s’en sortir. Pour autant, ils ont unanimement compris que leur vote ne changera rien à leur avenir et de la sorte ont abandonné l’idée que l’exercice du droit de vote peut infléchir le régime. Par leur abstention, la moitié d’entre eux l’a fait savoir. Or, quel que soit le régime, rien n’est plus dangereux qu’une population désespérée. Bien qu’Ebrahim Raeissi ait pu faire montre d’une certaine expérience en matière de répression, rien ne dit qu’il saura garantir à long terme la stabilité d’un régime déjà fragile et résister aux assauts d’un peuple en colère, surtout s’il ne parvient pas à résoudre la double crise économique et internationale qui paralyse l’Iran, crises auxquelles s’ajoute celle, sanitaire cette fois, du Covid-19.
À cet égard, son manque de connaissance des dossiers, manifeste lors des débats télévisés, laisse présager le pire.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru le 20/06/2021.