Début septembre, Volodymyr Zelensky, président ukrainien, a rencontré le ministre de la Défense américain puis le président Biden. Il est donc le deuxième dirigeant occidental reçu à la Maison-Blanche, après Angela Merkel, depuis le début du mandat de Joe Biden. Toutefois, celui-ci avait rencontré Vladimir Poutine en juin. Il semble bien que le président ukrainien soit venu chercher à Washington la preuve concrète d’un engagement bilatéral sur le long terme.
“Volodymyr Zelensky, président ukrainien, a rencontré le ministre de la Défense américain puis le président Biden. Il semble bien que le président ukrainien soit venu chercher à Washington la preuve concrète d’un engagement bilatéral sur le long terme”
Alliée de l’Occident, l’Ukraine, ex-République soviétique, est en effet depuis 2014 le théâtre d’une guerre dans le Donbass, entre les forces ukrainiennes et les séparatistes pro-russes. Le conflit avait été déclenché par l’annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014, et le dernier épisode en date a été le stationnement temporaire de plus de 100 000 soldats russes à la frontière ukrainienne et en Crimée au début de l’année 2021.
L’aide militaire de Washington à Kiev
Les récentes actualités ont d’autant plus ébranlé la confiance qu’ont les Ukrainiens en leur partenaire américain puisqu’au cours du mois d’août, les Américains se sont retirés précipitamment d’Afghanistan, sans un regard pour les populations civiles en danger suite au retour en force des talibans. Le président ukrainien est également venu réclamer une aide militaire et financière afin de moderniser sa flotte et contrer les Russes dans les eaux du détroit de Kertch, séparant la mer Noire et la mer d’Azov, ce à quoi le Pentagone a répondu par une promesse de 60 millions de dollars d’aide supplémentaire et la fourniture de missiles anti-chars Javelin. Pour rappel, les États-Unis ont déjà alloué depuis 2014, 2,5 milliards de dollars d’aide à l’armée ukrainienne, dont près de 400 millions en 2021. Joe Biden a déclaré que “Les États-Unis restent déterminés à soutenir la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine face à l’agression russe”.
“Le président ukrainien est également venu réclamer une aide militaire et financière afin de moderniser sa flotte et contrer les Russes dans les eaux du détroit de Kertch”
Le ministère russe des Affaires étrangères a pointé du doigt les États-Unis en les accusant d’utiliser l’Ukraine comme une “arme” contre la Russie, et a exhorté la communauté internationale à interdire la livraison d’armes à l’Ukraine. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déploré que “Kiev et Washington deviennent amis non en raison de leurs intérêts, mais parce qu’ils sont tous les deux hostiles à Moscou”.
Alliance américano-allemande autour de Nord Stream 2
Mais malgré un engagement répété et un soutien financier américain conséquent et persistant, il semble que le caractère artificiel de la relation américano-ukrainienne finisse par devenir criante. La décision des États-Unis de ne pas appliquer les fameuses sanctions américaines vis-à-vis de la construction du gazoduc Nord Stream 2, projet à 10 milliards d’euros, démontre bien que la politique de sanctions économiques américaine est à géométrie variable et que les priorités des États-Unis n’ont qu’un noyau : ceux des intérêts économiques américains.
“Malgré un engagement répété et un soutien financier américain conséquent et persistant, il semble que le caractère artificiel de la relation américano-ukrainienne finisse par devenir criante”
Les États-Unis sont en effet fortement dépendants de l’Allemagne, première puissance économique de l’UE et chef de file européen, pour tenir une ligne dure face à la Chine, et ils se plient ainsi à la volonté de l’Allemagne. Malgré le fait que ce gazoduc augmentera la dépendance européenne à l’égard de Moscou, Berlin semble décider à renouer avec la Russie sur le plan économique. La tentative de dialogue avec Moscou initiée en juin par l’Allemagne et la France a été un échec, certes, mais prouve l’état d’esprit allemand à l’égard de la Russie. De même, le renoncement américain aux sanctions vis-à-vis de la Russie s’explique par la volonté américaine de ne pas froisser son partenaire allemand, lequel ne veut pas perdre le bénéfice du gaz russe transitant par le gazoduc Nord Stream 2 de la Russie jusqu’en Allemagne.
Le risque d’un conflit supplémentaire avec la Russie
L’Ukraine a annoncé qu’elle allait combattre ce projet malgré l’achèvement du chantier, même après le commencement des livraisons de gaz. L’acharnement ukrainien sur le sujet est compréhensible puisque ce projet privera à terme l’Ukraine d’environ 1,5 milliard de dollars par an de taxes de transit du gaz russe par son territoire. Par ailleurs, le risque d’invasion par la Russie serait potentiellement accru puisque l’infrastructure gazière ukrainienne ne sera plus nécessaire pour alimenter les clients européens. Bien conscient du caractère non interventionniste du parti démocrate, le président ukrainien a mis l’accent sur le fait que ce conflit était une “menace internationale pour la sécurité globale”, mais en vain.
Pour calmer l’ire ukrainienne, Berlin et Washington ont fourni des garanties sur la préservation du transit du gaz russe par son territoire pendant 10 ans, en contradiction avec l’annonce de Moscou qui a affirmé continuer à faire transiter le gaz par l’Ukraine seulement jusqu’en 2024.
“Le risque d’invasion par la Russie serait potentiellement accru puisque l’infrastructure gazière ukrainienne ne sera plus nécessaire pour alimenter les clients européens”
Au-delà de leur volonté de préserver sa relation avec l’Allemagne, les États-Unis ne peuvent se permettre de risquer un conflit supplémentaire avec la Russie car la priorité absolue demeure sa rivalité avec la Chine montante.
Ainsi, il semble que Donald Trump ou Joe Biden à la tête du gouvernement rime invariablement avec “America first”. La situation entre les États-Unis, l’Ukraine et la Russie constitue aujourd’hui un véritable test pour jauger si l’administration Biden est bien décidée à donner la priorité à sa rivalité avec la Chine, quitte à revenir sur les engagements américains antérieurs.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 15/09/2021.