L’Iran est devenue membre de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) dirigée par Moscou et Pékin après que sa candidature a été approuvée le 17 septembre dernier. Quelles sont les implications de cette adhésion ?
OCS, un bloc anti-occidental
Le président chinois Xi Jinping a déclaré en visioconférence lors du dernier sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai le 17 septembre dernier à Douchanbé, au Tadjikistan, avoir lancé la procédure pour faire rentrer l’Iran dans l’OCS. Cette organisation forme une alliance contre l’influence américaine et comprend la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan et d’autres pays d’Asie centrale. Souvent dépeinte comme un bloc anti-occidental, voire anti-Otan, l’OCS fonctionne comme un forum de discussion et d’engagement en raison de sa gouvernance par consensus qui limite l’étendue de la coopération de fond. L’annonce de l’adhésion a aussitôt été saluée par le président russe Vladimir Poutine, et de manière plus surprenante par les Premiers ministres indien et pakistanais, malgré le fait que le Pakistan et l’Inde soient des pays rivaux de l’Iran.
“L’OCS fonctionne comme un forum de discussion et d’engagement en raison de sa gouvernance par consensus qui limite l’étendue de la coopération de fond”
Face à l’acceptation de l’adhésion et l’accueil de celle-ci parmi les membres de l’organisation, Ebrahim Raïssi, nouveau président iranien depuis le mois d’août 2021, ultraconservateur succédant au président sortant modéré Hassan Rohani, s’est montré reconnaissant et enthousiaste : “Acceptez ma gratitude. Que la paix et la bénédiction de Dieu soient avec vous. Nous sommes heureux que le document d’adhésion permanente de la République islamique d’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghai ait été approuvé à Douchanbé par les dirigeants des pays membres”, de même que le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amr-Abdollahian, sur Twitter. Il a ensuite précisé que la procédure d’adhésion durerait entre un et deux ans.
Une démarche de longue date
La demande d’adhésion de l’Iran à l’OCS ne date toutefois pas d’hier. Après avoir obtenu le statut d’observateur en 2005 aux côtés de l’Inde et du Pakistan, Téhéran avait demandé à la rejoindre dès 2008, demande qui avait été d’ailleurs vivement soutenue par la Russie. Toutefois, malgré le soutien de Moscou, les lourdes sanctions imposées contre l’Iran par les États-Unis, depuis 1979 et surtout depuis 2018, justifiées par le développement nucléaire de la République islamique, ont considérablement refroidi l’organisation et toutes les puissances européennes, et ainsi inévitablement bloqué la candidature iranienne. C’est donc en toute logique que le retrait hâtif des troupes américaines en Afghanistan et le désengagement progressif de l’hyperpuissance dans ses combats menés contre ses rivaux secondaires tels que l’Iran au profit d’un focus sur la Chine, a permis de dénouer la situation entre l’Iran et l’OCS.
“Le retrait hâtif des troupes américaines en Afghanistan et le désengagement progressif de l’hyperpuissance dans ses combats menés contre ses rivaux secondaires tels que l’Iran au profit d’un focus sur la Chine, a permis de dénouer la situation entre l’Iran et l’OCS”
Les journaux conservateurs ont triomphalement couvert l’événement, ravis de cette adhésion qu’ils considèrent comme le moyen idoine de contourner les sanctions américaines et de renforcer la légitimité internationale de l’Iran. Les liens politiques, économiques et militaires avec l’Asie sont également renforcés, même si la Chine est déjà le premier partenaire économique de l’Iran et a largement profité de sa position de seul acheteur de pétrole iranien à des prix bradés en raison des sanctions américaines. La signature d’un accord de coopération stratégique sur 25 ans entre la Chine et l’Iran, centré sur l’investissement chinois dans les secteurs de l’énergie et de l’automobile en Iran, n’est qu’une preuve de la bonne entente des deux pays. Un accord similaire devrait être prochainement signé avec la Russie.
La société iranienne mitigée
Bien que le président iranien ait fait montre d’une joie non dissimulée d’enfin rejoin dre l’alliance menée par les deux grands ennemis des États-Unis – l’historique ennemi russe et le contemporain ennemi chinois – la réaction semble toutefois plus mitigée au sein de la société iranienne. En effet, les principales critiques des détracteurs de l’adhésion concernent l’utilité et la légitimité de l’adhésion. Certaines différences majeures entre l’Iran et l’OCS sont en effet pointées du doigt : l’OCS n’est pas une organisation islamique comme l’Iran, les missions de l’OCS sont incompatibles avec certains articles de la Constitution iranienne. De plus, la lutte contre les “trois maux” (le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme) ne trouvera pas la même résonance parmi les pays de l’organisation en raison de la différence de perception des groupes islamistes par Moscou, Pékin et Téhéran. Fort de son futur statut, Téhéran pourra qualifier certaines organisations de terroristes, et renforcer la légitimité de ses futures élections en invitant des observateurs de l’OCS. Toutefois, en participant dans le processus décisionnel de l’OCS (préparation et signature des documents), le fonctionnement de l’OCS basé sur le consensus permettra à l’Iran de jouer un rôle dans les décisions prises, et ce malgré l’importance des chefs de file de l’organisation que sont la Russie et la Chine.
“Au sein de la société iranienne. Certaines différences majeures entre l’Iran et l’OCS sont pointées du doigt : l’OCS n’est pas une organisation islamique comme l’Iran, les missions de l’OCS sont incompatibles avec certains articles de la Constitution iranienne”
Cependant même si cette adhésion ne relève pas d’une alliance stratégique effective, elle a néanmoins le mérite de permettre à l’Iran de briser l’isolement forcé auxquels les avaient soumis les États-Unis et leurs alliés dans le golfe Persique, tels que l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Émirats arabes unis.
Chine et Russie placent leurs pions
En ce qui concerne les motivations russes, il convient de rappeler les propos de Vladimir Poutine qui s’exprimait par visioconférence au dernier sommet de l’OCS : l’organisation doit s’imposer comme un partenaire des talibans afin qu’ils tiennent leurs promesses de lutte contre le terrorisme, préconisant ainsi de “mobiliser le potentiel de l’organisation pour faciliter le début d’un dialogue interafghan inclusif et afin aussi de bloquer les menaces du terrorisme, du trafic de drogue et de l’extrémisme religieux provenant de ce pays”. Depuis de nombreuses années, le président russe veille à conserver un dialogue avec les talibans, malgré le fait que la Russie les considère comme des terroristes. Il s’agit de prévenir les attaques contre les pays voisins alliés et de faire en sorte que les talibans, de retour au pouvoir en Afghanistan en août dernier, participent à la gestion des réfugiés et à la lutte contre le trafic d’héroïne et d’opium dans la région. De plus, Moscou comme Pékin veulent profiter du départ des États-Unis et de l’instabilité subséquente pour s’imposer comme les pays clés de la région.
“Moscou comme Pékin veulent profiter du départ des États-Unis et de l’instabilité subséquente pour s’imposer comme les pays clés de la région”
Bien que cette adhésion ne signifie pas que l’Iran deviendra un partenaire du même niveau que la Russie et la Chine, la victoire diplomatique est majeure pour Raissi dans un moment crucial où son gouvernement est enlisé dans l’échec des négociations de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien avec les États-Unis.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans l’Atlantico du 22/09/2021.