La récente élection du Majlis al-Choura, organe législatif du Qatar, au suffrage universel direct le 2 octobre dernier marque le début de la participation des Qataris à la vie politique de leur pays et détonne au sein de cette région du golfe Persique où les libertés publiques sont mises à mal.
“Le début de la participation des Qataris à la vie politique de leur pays détonne au sein de cette région du golfe Persique où les libertés publiques sont mises à mal”
L’histoire du conseil consultatif du Qatar démontre la difficulté rencontrée par ce pays, ainsi que par ses voisins autocrates régnants sur des pétromonarchies, à prendre durablement le chemin de la consultation démocratique du peuple. Créé en 1972, cet organe, dont les membres étaient désignés par l’émir jusqu’à récemment, a connu un bouleversement avec l’introduction du scrutin électoral. C’est ainsi que cinq décennies après son introduction dans la constitution, un vote est organisé afin de renouveler de manière quasi démocratique ses 45 membres. Ce parlement local, dont les attributions étaient auparavant consultatives, a vu ses prérogatives évoluer puisqu’il pourra désormais approuver le budget, proposer des lois et renvoyer des ministres. Cependant, le dernier mot revient toujours à l’émir puisqu’il dispose d’un droit de veto sur l’ensemble de ses décisions. Il s’agit de la première élection nationale au suffrage universel direct. Auparavant en effet, seules des élections municipales avaient été organisées, et sous la surveillance intrusive des autorités. Le taux de participation de la population qatarie a été estimé à 63,5 % par les autorités, ce qui est bien loin du taux de participation des élections municipales de 2019 où moins d’un électeur sur 10 avait voté.
Partis politiques interdits
Au Qatar, le chemin à parcourir semble encore immense. En effet, quinze des sièges à pourvoir au conseil sont attribués par l’émir. De plus, le pluralisme politique peine à s’imposer en raison de l’interdiction des partis politiques qui est toujours en vigueur. Par ailleurs, au sein même de ce conseil, certaines lois anachroniques sont toujours appliquées, telles que la condition d’avoir un ancêtre ayant vécu sur le territoire de l’actuel Qatar avant 1930 afin de pouvoir voter et être éligible. Seuls 20 à 25 % des 250 000 nationaux qataris remplissent ces conditions.
“Le pluralisme politique peine à s’imposer en raison de l’interdiction des partis politiques”
Cette règle a été appliquée lors du vote du 2 octobre à l’égard de la tribu Al Murrah, qui s’est vue interdire de voter en raison de sa mise au ban par Doha depuis son coup d’État avorté en 1996 contre le père du souverain actuel, et de son soutien en 2017 au blocus du Qatar décrété par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Le scrutin était également interdit aux citoyens naturalisés. Or, dans ce petit pays, deuxième exportateur mondial de gaz naturel liquéfié, comptant 2,5 millions d’habitants dont une majorité d’étrangers, ceux-ci n’ont donc pas pu participer au scrutin. Ces restrictions ont d’ailleurs donné lieu à des mouvements de protestation et des débats houleux au sein de la société, et à une quinzaine d’arrestations.
Parité inexistante
Si la démocratie n’est pas encore installée dans le pays, la parité ne l’est pas non plus. En effet, sur les 284 candidats qui aspiraient à obtenir l’un des 30 sièges sur 45 du conseil, seules 28 étaient des femmes. Finalement, lors de l’élection, aucune femme n’a été élue. Par ailleurs, même si la course aux sièges était réelle, l’intensité des débats l’était moins puisque les sujets abordés lors de la campagne électorale (santé, éducation, défense de la cohésion familiale, intégration des handicapés et des jeunes sur le marché du travail, problèmes socio-économiques) faisaient l’objet d’un relatif consensus au sein de la société qatarie, dont le niveau de vie est l’un des plus élevé au monde.
“Sur les 284 candidats qui aspiraient à obtenir l’un des 30 sièges sur 45 du conseil, seules 28 étaient des femmes. Finalement, lors de l’élection, aucune femme n’a été élue”
Les seuls sujets sensibles ont été amenés par les femmes en lice. Elles ont réclamé avec vigueur l’arrêt des discriminations subies par les Qataries en dénonçant par exemple l’impossibilité pour une femme qatarie mariée à un étranger de transmettre la nationalité qatarie à ses enfants, ou encore du système de la tutelle transférée du père au mari lorsqu’une femme se marie.
Apaisement sur la scène internationale
Depuis janvier 2021, les hostilités entre voisins semblent avoir connu un ralentissement, même si la traditionnelle querelle médiatique persiste au sein des sociétés. En effet, alors qu’un embargo économique et politique était imposé à Doha depuis 2017 par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte pour punir le Qatar de ses prises de position et de ses liens privilégiés avec l’Iran, le ton s’est radouci depuis lors, y compris avec Washington. Cet apaisement puise probablement ses sources dans l’accueil par le Qatar, à al-Udeid, de la plus grande base aérienne américaine du Moyen-Orient, et également dans le récent soutien logistique dans l’évacuation précipitée des Américains d’Afghanistan. Toutefois, la méfiance et les sanctions restent de mise, comme l’a démontré le Trésor américain qui a annoncé, le 29 septembre dernier, la mise en place de sanctions à l’encontre de quatre ressortissants qataris ainsi que d’une société immobilière basée au Qatar, accusés “d’être liés au Hezbollah, parti libanais pro-iranien classé groupe terroriste par Washington”.
“Alors qu’un embargo économique et politique était imposé à Doha depuis 2017 pour punir le Qatar de ses prises de position et de ses liens privilégiés avec l’Iran, le ton s’est radouci depuis lors, y compris avec Washington”
Le fait qu’aucune femme n’ait été élue et que les règles restreignant le pluralisme politique et la liberté de ton persistent, démontre que l’équilibre du pouvoir au Qatar n’a pas réellement été ébranlé avec les récentes élections législatives. Il semble plutôt que l’émirat veuille redorer son blason à un an de la Coupe du monde de football, sur laquelle planent des accusations d’achats de voix à la Fédération internationale de football et une polémique sur les conditions de travail des ouvriers.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 06/10/2021.