Dix ans après les mouvements du peuple syrien qui était descendu manifester pacifiquement contre la politique du pays, un demi-million de Syriens sont morts, 100 000 autres ont disparu, et plus de la moitié de la population a été déplacée. Pourtant, la communauté internationale n’a poursuivi aucune action concrète pour mettre fin aux exactions et multiples violations du droit international, et Bachar el-Assad est ainsi plus installé que jamais au pouvoir en Syrie. Début octobre, Interpol a même réinscrit la Syrie à ses réseaux, mettant ainsi fin aux mesures correctives prises à l’encontre de Damas en 2012, dont l’interdiction d’accès à son réseau, dans le cadre des sanctions internationales promulguées contre le régime du président Bachar el-Assad.
Au-delà du fait que cette décision de réinscription entérine officiellement le retour d’Assad dans la communauté internationale et participe à la normalisation des relations, elle permet au régime d’Assad d’accéder aux bases de données d’Interpol et de communiquer avec d’autres membres de l’organisation. Damas dispose désormais de nouveaux outils puissants pour poursuivre ses opposants politiques à travers la planète, notamment la possibilité d’émettre des mandats d’arrêt internationaux, les “notices rouges”, qui représentent un réel danger pour plus de 6 millions de Syriens qui ont fui le pays en guerre, dont plus de 5 millions dans les pays limitrophes (Turquie, Liban, Jordanie). Interpol a d’ailleurs été critiqué pour sa complicité dans la poursuite d’opposants politiques avec l’émission de ces notices, à la demande de régimes autoritaires comme la Russie et la Chine.
“Cette décision de réinscription permet au régime d’Assad d’accéder aux bases de données d’Interpol. Damas dispose désormais de nouveaux outils puissants pour poursuivre ses opposants politiques à travers la planète”
Interpol n’est pas la seule organisation à avoir tendu une main au régime d’Assad. En effet, l’Organisation mondiale de la santé avait décidé en mai dernier d’accorder à la Syrie un siège au sein de son conseil d’administration, fermant ainsi les yeux sur les nombreux antécédents du régime qui n’a pas hésité à bombarder des hôpitaux, mettre en place des sièges qui ont fait de nombreuses victimes au fil des années et en parallèle à restreindre l’aide humanitaire.
Les États-Unis en mode passif
L’administration Biden déçoit également sur le sujet, mais n’étonne pas au vu des prises de positions ces derniers mois sur l’Afghanistan ou la signature du contrat Aukus aux côtés du Royaume-Uni et de l’Australie, au détriment de la France. Concernant la Syrie, sur le papier, les États-Unis prônent un règlement politique conforme à la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies de 2015, qui appelle à un cessez-le-feu dans tout le pays et à des négociations menées par la Syrie et facilitées par l’ONU, devant déboucher sur une “gouvernance crédible, inclusive et non sectaire”, par notamment la rédaction d’une nouvelle constitution et l’organisation d’élections nationales supervisées par l’ONU. Mais dans les faits, les États-Unis ne fournissent pas un effort diplomatique sérieux. Joe Biden a en effet adopté une approche passive à l’égard du régime d’Assad puisque les seules actions concrètes de Washington en Syrie sont la garantie de l’accès humanitaire et la lutte contre l’État islamique. Bien qu’il s’agisse évidemment d’actions primordiales dans un pays aussi fragile que la Syrie, il ne faut pas perdre de vue qu’il ne s’agit là que de pansements à la maladie qui gangrène la Syrie, et non pas une guérison durable.
“L’administration Biden déçoit également sur le sujet, mais n’étonne pas au vu des prises de positions ces derniers mois sur l’Afghanistan”
Il est important de noter également que Washington a pris soin de supprimer le poste d’envoyé principal pour la Syrie et de l’intégrer aux missions du nouveau secrétaire d’État adjoint pour les affaires du Proche-Orient, Ethan Goldrich.
Au nom de l’Arab Gas Pipeline
Enfin, la loi César, ayant pour objectif de renforcer la responsabilisation, la protection des civils et d’empêcher le soutien financier extérieur du régime d’Assad et, par conséquent, sa normalisation, n’a toujours pas été utilisée par l’administration Biden. En effet, malgré son programme de politique étrangère autoproclamé orienté vers les droits de l’homme, cette loi a même été levée récemment pour permettre l’accord sur l’Arab Gas Pipeline, le gazoduc entre l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban, démontrant par ce fait l’approche à double visage de l’administration Biden qui d’une part condamne la normalisation du régime d’Assad, et d’autre part la facilite, le but pour Washington étant de se concentrer sur des questions jugées plus importantes telle que la concurrence économique avec la Chine. L’Arab Gas Pipeline, dont l’objectif est l’acheminement du gaz naturel égyptien vers le Liban via les territoires jordanien et syrien, a permis de révéler au grand jour la normalisation qui se prépare en coulisses depuis quelques années, et le rapprochement entre Damas et certains pays voisins comme la Jordanie.
“La loi César a même été levée récemment pour permettre l’accord sur l’Arab Gas Pipeline, le gazoduc entre l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban”
Véritable aveu d’impuissance de la part des Européens, le désengagement des pays occidentaux sur la question syrienne est directement lié à la passivité croissante de Washington sur le sujet, et ce malgré la position du peuple syrien qui se retrouve acculé entre un pouvoir honni et une économie en ruines.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans le Nouvel Economiste du 13/10/2021.