Naftali Bennett, Premier ministre israélien, s’est rendu en décembre dernier aux Émirats arabes unis pour la première fois, marquant ainsi un tournant dans les relations diplomatiques entre l’État hébreu et la monarchie du golfe Persique.
Lors de sa visite, le Premier ministre israélien s’est entretenu avec le prince héritier d’Abou Dhabi, cheikh Mohammed ben Zayed Al-Nahyane, dit “MBZ”. Cette rencontre a été faite dans la discrétion, aucun communiqué officiel n’ayant été diffusé. L’explication réside dans le fait qu’une grande partie de la population des Émirats demeure hostile à la normalisation ainsi qu’au développement des relations entre Israël et les Émirats arabes unis.
“Cette rencontre a été faite dans la discrétion. L’explication réside dans le fait qu’une grande partie de la population des Émirats demeure hostile à la normalisation ainsi qu’au développement des relations entre Israël et les Émirats arabes unis”
Les deux dirigeants ont échangé sur l’approfondissement des relations entre les deux pays qui a été initié par la normalisation des relations dans le cadre des accords d’Abraham en 2020. En effet, en septembre 2020, sous l’impulsion de Donald Trump, président en fonction à l’époque, les Émirats arabes unis et Bahreïn avaient normalisé officiellement leurs relations avec Israël, devenant ainsi les premiers pays arabes du golfe Persique à le faire. Les accords d’Abraham avaient également acté la normalisation des relations avec le Maroc et le Soudan. Ils ont à ce titre été perçus par la Palestine comme une trahison puisque jusque-là, la résolution du conflit israélo-palestinien était une condition sine qua non à toute discussion autour de la normalisation des relations entre les pays arabes et Israël. D’autres progrès diplomatiques avaient été faits en 2020, avec notamment l’inauguration d’une ambassade d’Israël à Abou Dhabi et d’un consulat à Dubaï, puis inversement, d’une ambassade des Émirats arabes unis à Tel-Aviv.
Coopération économique bien lancée
Déterminés à améliorer la coopération dans tous les domaines, le Premier ministre israélien et le prince héritier émirati ont également évoqué les enjeux économiques et régionaux. Résolument tournés vers une diversification de leur économie afin de réduire leur dépendance aux ressources pétrolières, les responsables émiratis considèrent qu’Israël, qui a une économie sophistiquée, peut les aider.
“Résolument tournés vers une diversification de leur économie afin de réduire leur dépendance aux ressources pétrolières, les responsables émiratis considèrent qu’Israël, qui a une économie sophistiquée, peut les aider”
C’est dans cette dynamique qu’une soixantaine de protocoles d’accords dans les secteurs du commerce, de la recherche et du développement, de la cybersécurité, de la santé, de l’éducation et de l’aviation ont été signés avec Israël depuis la normalisation. Un accord de libre-échange en 2022 serait même sur la table. Naftali Bennett a souligné lors de sa visite officielle, le potentiel “illimité” des relations commerciales entre l’État hébreu et la monarchie du Golfe. En 2021, les échanges bilatéraux ont atteint près de 900 millions de dollars.
Divergence de vues sur le nucléaire iranien
La rencontre a ainsi confirmé la volonté des deux pays de consolider leur partenariat économique. Toutefois, cette entente est parasitée par les positions divergentes des deux États sur les questions de sécurité régionale, et particulièrement sur la question du nucléaire iranien. En effet, autrefois liés par une animosité commune envers l’Iran, les deux pays ne semblent plus s’entendre sur cette question. Bennett, comme ses prédécesseurs, a fait de la question de l’enrichissement nucléaire iranien une priorité de sa politique étrangère et a vivement critiqué l’orientation des négociations reprises récemment entre Téhéran et les grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine, France, Allemagne, Royaume-Uni) pour sauver l’accord sur le nucléaire iranien.
“Autrefois liés par une animosité commune envers l’Iran, les deux pays ne semblent plus s’entendre sur cette question”
Les Émirats arabes unis, quant à eux, semblent avoir changé leur fusil d’épaule et souhaitent aujourd’hui rechercher la paix avec l’Iran, mais également avec la Turquie, et ce malgré l’existence de profonds désaccords idéologiques. Les visites récentes du conseiller émirati à la sécurité nationale à Téhéran et de MBZ en Turquie vont dans ce sens.
Les Émirats soucieux de paix régionale après le départ américain
Le désengagement des Émirats dans les problèmes de sécurité régionale au cours des dernières années s’explique en outre par la conviction des responsables émiratis qu’il est nécessaire de maintenir la diplomatie avec Téhéran, sous peine de se retrouver pris au piège d’une confrontation militaire entre l’Iran et Israël.
Par ailleurs, le désengagement des États-Unis au Moyen-Orient au profit d’une concentration des moyens vers la Chine, pousse les monarchies du Golfe telles que les Émirats à diversifier les possibilités commerciales en préparation de l’ère post-pétrolière, et ce en évitant au maximum les conflits avec ses voisins. En plus de la question du nucléaire iranien, les Émirats doivent également gérer une des conséquences militaires des accords d’Abraham. Des missiles lancés par les rebelles yéménites suite aux frappes aériennes de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite contre Sanaa, la capitale contrôlée par les rebelles houthis, ont récemment été interceptés, pour partie, par Abou Dhabi.
“Les Émirats arabes unis semblent ainsi se livrer à un numéro d’équilibriste afin de maintenir ses accords économiques avec l’État hébreu tout en axant sa politique étrangère sur une désescalade régionale”
Les Émirats arabes unis semblent ainsi se livrer à un numéro d’équilibriste afin de maintenir ses accords économiques avec l’État hébreu tout en axant sa politique étrangère sur une désescalade régionale. Toutefois, si les tensions entre Israël et l’Iran s’intensifient dans les prochains mois en raison des désaccords sur les négociations relatives à l’accord de Vienne, reste à savoir si Israël et les Émirats sauront conserver leur entente fraîchement consolidée.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 26/01/2022.