Avec le rapprochement de plus en plus explicite entre la Turquie et des pays tels que l’Azerbaïdjan et le Pakistan, les ambitions néo-ottomanes du président turc Recep Tayyip Erdogan apparaissent claires aux yeux du monde.
Ankara a semblé voir dans le retrait des États-Unis d’Afghanistan en août dernier une opportunité pour la Turquie, membre de l’Otan, de saisir le leadership dans la région. Erdogan est bel et bien décidé à mettre en œuvre son plan pour faire revivre à la Turquie sa gloire impériale d’antan.
Alliance panturque avec l’Azerbaïdjan et le Pakistan
Pour ce faire, son objectif est clair : créer une alliance stratégique panturque aux côtés de l’Azerbaïdjan et du Pakistan. Preuve de ce rapprochement, Erdogan a visité l’Azerbaïdjan plus de 20 fois durant son mandat. Le choix de ces deux pays ne doit rien au hasard puisque l’Azerbaïdjan possède d’importantes richesses en hydrocarbures, en plus d’une armée en plein développement, et le Pakistan dispose d’une puissance nucléaire. Les exportations d’armes et d’aérospatial de la Turquie à l’Azerbaïdjan ont été multipliées par cinq en 2020, et la Turquie est aujourd’hui le quatrième plus grand fournisseur d’armes du Pakistan, dépassant les États-Unis. La Turquie a également fait rentrer l’Azerbaïdjan et le Pakistan dans son programme TF-X relatif à des avions de combat nouvelle génération. Début 2020, le président Erdogan et le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, ont signé, lors de la sixième session du Conseil de coopération stratégique de haut niveau (HLSCC), une dizaine de protocoles d’accord, dont la moitié liée à la défense.
“Le choix de ces deux pays ne doit rien au hasard puisque l’Azerbaïdjan possède d’importantes richesses en hydrocarbures, en plus d’une armée en plein développement, et le Pakistan dispose d’une puissance nucléaire”
Au cours de l’année dernière, ces nations musulmanes ont multiplié les discussions afin de renforcer les domaines du commerce, des investissements, des transports, des services bancaires et du tourisme. L’attention d’Ankara est donc désormais résolument tournée vers l’est de la Turquie dans un renouveau avec l’idée du pantouranisme.
Iran et Quatar en ligne de mire
Le président turc n’exclut pas non plus de sa ligne de mire l’Iran, ou encore le Bangladesh avec qui il entend s’allier de manière temporaire pour des objectifs bien précis. Toutefois, les exercices militaires “Trois frères – 2021”, impliquant la Turquie, l’Azerbaïdjan et le Pakistan et qui se sont déroulé en septembre dernier, ont attisé la colère et l’inquiétude de Téhéran, qui a perçu cet exercice comme une menace pour sa sécurité, d’autant plus que la minorité turque en Iran est estimée à environ 20 % de la population totale. Téhéran a répliqué rapidement par un exercice militaire “Fatehan Khaybar”, près de la frontière entre l’Iran et l’Azerbaïdjan.
“Les exercices militaires “Trois frères – 2021”, impliquant la Turquie, l’Azerbaïdjan et le Pakistan et qui se sont déroulé en septembre dernier, ont attisé la colère et l’inquiétude de Téhéran, qui a perçu cet exercice comme une menace pour sa sécurité”
Afin de consolider une influence politique turque en Afghanistan, Ankara a également établi des relations proches avec le Qatar, l’allié du golfe Persique. Début décembre 2021, Erdogan a en effet rencontré l’émir du Qatar, le cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, et signé 12 protocoles d’accord dans les secteurs de la défense, de la santé, du tourisme et de l’éducation. Au cours du même mois, l’Iran, l’Azerbaïdjan et la Géorgie se sont également mis d’accord sur la construction d’une route reliant le golfe Persique à la mer Noire, qui sera reliée aux lignes ferroviaires Islamabad-Istanbul dans le but de faire renaître des relations commerciales avec notamment l’Iran, qui ne cesse de subir une pression économique maximale exercée par Washington.
Les défauts dans la cuirasse
Cependant, le plan conquérant d’Erdogan souffre de quelques défauts dans sa cuirasse. Tout d’abord, la Turquie a ces dernières années été dans la ligne de mire des États-Unis, de l’Union européenne et de la Russie, qui n’ont pas hésité à sanctionner le pays économiquement. Les négociations autour de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne sont aujourd’hui au point mort en raison de la politique étrangère belliqueuse du président turc.
“Bien que l’Iran soit considéré comme “le frère musulman” de la Turquie, en réalité, l’islam sunnite pratiqué par la Turquie face à l’islam chiite pratiqué en Iran les oppose fermement”
Concernant ses alliés, bien que l’Iran soit considéré comme “le frère musulman” de la Turquie, en réalité, l’islam sunnite pratiqué par la Turquie face à l’islam chiite pratiqué en Iran les oppose fermement. De plus, l’Azerbaïdjan est considéré comme un territoire russe, les Azéris parlant d’ailleurs davantage russe que turc. Par ailleurs, outre le soutien d’Ankara aux Ouïghours, minorité turco-musulmane en Chine, le gouvernement chinois intervient également en Afghanistan. En effet, ayant besoin d’une sécurité et d’une paix stables dans la région afin de protéger ses intérêts économiques, Pékin fait en sorte d’approfondir l’alliance sino-pakistanaise, faisant de la Chine l’allié le plus solide du Pakistan. Cet investissement chinois en Afghanistan ne laisserait ainsi qu’une place minime à la Turquie.
Ainsi, l’alliance qu’Erdogan essaie de créer continuera d’être scrutée à la loupe par la Chine, l’Iran et la Russie, qui se réjouissent d’un affaiblissement des liens entre Ankara et les pays occidentaux.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 02/02/2022.