America is back ? Défaits en Afghanistan, les États-Unis semblent plus que jamais présents en Asie du Sud afin de renforcer leur front indo-pacifique et contrer l’influence de la Chine. Essentiellement concentrée, pendant près de quarante ans, sur le Pakistan et l’Afghanistan comme relais d’influence dans la région, la politique asiatique américaine s’intéresse désormais de plus près à leurs voisins, certes au poids politique plus modeste, mais qui n’en restent pas moins des points stratégiques à éloigner à tout prix de Pékin.
L’Inde et les États-Unis face au rouleau compresseur chinois
Dans cette optique, l’administration Biden a délibérément choisi de renforcer sa coopération avec l’Inde, l’autre grande puissance asiatique. Certes, ce rapprochement avait déjà connu une accélération sous Donald Trump, en raison de sa sympathie pour le gouvernement ultra-nationaliste de Narendra Modi. Mais son successeur souhaite désormais le porter plus loin, bien que New Delhi, allié de longue date de la Russie et cliente de son industrie de défense, ait refusé de voter la résolution onusienne condamnant l’invasion de l’Ukraine, et n’ait pas non plus rallié le programme de sanctions occidentales contre Moscou. Les deux pays devraient ainsi annoncer prochainement de nouvelles coopérations en matière de défense, de présence spatiale et de partage de renseignements maritimes.
“Les deux pays devraient ainsi annoncer prochainement de nouvelles coopérations en matière de défense, de présence spatiale et de partage de renseignements maritimes. Mais c’est surtout leur lobbying diplomatique à travers l’Asie du Sud qui s’est récemment intensifié”
Mais c’est surtout leur lobbying diplomatique à travers l’Asie du Sud qui s’est récemment intensifié, avec un succès certain, pour faire face au rouleau-compresseur chinois. Plusieurs pays, initialement adhérents au vaste projet des “nouvelles routes de la soie”, ont ainsi révisé leurs engagements bilatéraux avec Pékin.
Sri Lanka, un pays laboratoire
À cet égard, le Sri Lanka s’impose comme un “pays-laboratoire” permettant d’évaluer l’efficacité du développement de l’axe indo-pacifique. La Chine, qui souhaite gagner en influence dans l’océan Indien par l’entremise de Colombo, a massivement investi dans l’île. Mais aujourd’hui, une double crise économique et politique menace la stabilité du pays, au point de nécessiter une demande d’aide auprès de la communauté internationale et des institutions économiques multilatérales comme le FMI. Jusqu’à présent, le gouvernement du Premier ministre Mahinda Rajapaksa, ouvertement pro-chinois, avait écarté cette solution pour régler ces problématiques domestiques avec l’aide de l’Inde et de la Chine.
Pourtant, au cours des derniers mois, le Sri Lanka s’est délibérément rapproché de sa plus proche voisine, prenant conscience des effets délétères de sa trop grande dépendance auprès de la Chine. Plusieurs projets de développement avec l’Inde, longtemps ajournés, ont ainsi été finalisés au détriment des contrats chinois. Ce fut par exemple le cas avec le projet de construction d’un parc éolien dans le détroit de Palk, qui sépare le Sri Lanka de l’Inde du Sud, initialement confié à une entreprise chinoise, qui s’est donc vue damer le pion par une rivale indienne.
“New Delhi a encouragé le Sri Lanka à chercher l’assistance du FMI et d’autres grandes puissances, les États-Unis promettant en échange leur soutien à la diversification de l’économie sri lankaise”
New Delhi a également encouragé le Sri Lanka à chercher l’assistance du FMI et d’autres grandes puissances, les États-Unis promettant en échange leur soutien à la diversification de l’économie sri lankaise. Très contrariée par cette stratégie qui compromet ses intérêts locaux, Pékin a offert en guise de riposte son propre soutien financier, avec pour l’heure un succès relatif. Les évolutions politiques sur l’île penchent en effet vers un regain de souveraineté pour le Sri Lanka, et une sérieuse remise en question du partenariat avec la Chine.
Contrer la dépendance financière du Pakistan
Autre voisin de l’Inde et autrement plus difficile pour elle, le Pakistan est également dans le viseur des États-Unis, bien que New Delhi apprécie peu les liens, même ambigus, qui unissent Islamabad et Washington depuis des décennies. Si dans ce cas précis, les intérêts des Américains ont longtemps divergé avec ceux des Indiens, aujourd’hui les deux pays s’accordent à considérer la montée de l’extrémisme religieux au Pakistan comme très préoccupante pour la stabilité de ce pays essentiel à l’équilibre régional.
“Si les intérêts des Américains ont longtemps divergé avec ceux des Indiens, aujourd’hui les deux pays s’accordent à considérer la montée de l’extrémisme religieux au Pakistan comme très préoccupante pour la stabilité de ce pays essentiel à l’équilibre régional”
Son importante dépendance financière vis-à-vis de la Chine et le rapprochement avec Moscou initié par l’ancien Premier ministre Imran Khan constituent également deux sujets d’inquiétude pour les États-Unis comme pour l’Inde. Le bouleversement politique qui occupe aujourd’hui Islamabad pourrait cependant favoriser de nouveaux rapprochements stratégiques. Le chef de l’influente armée pakistanaise, le général Qawad Javed Bajwa, s’est d’ailleurs exprimé en faveur d’une entente avec l’Inde et a vivement balayé les accusations d’Imran Khan contre une supposée ingérence américaine dans le pays.
Les Maldives et le Népal pour casser les routes de la soie
L’influence indo-américaine a également gagné du terrain aux Maldives à la faveur d’une alternance politique qui a éloigné l’archipel du giron de Pékin. En 2020, il a ainsi signé un accord-cadre de coopération militaire avec les États-Unis, vraisemblablement avec la bénédiction de l’Inde, jadis méfiante envers de telles alliances, mais qui y voit aujourd’hui un intérêt certain pour faire reculer sa rivale implantée dans sa sphère d’influence et casser sa route maritime entre l’Asie et l’Afrique de l’Est.
“Katmandou a condamné l’invasion russe de l’Ukraine lors de la dernière Assemblée générale de l’ONU, tout comme le Bhoutan et surtout le Bangladesh, avec lequel l’administration Biden tente de réchauffer les relations afin de l’intégrer lui aussi au dispositif indo-pacifique”
Enfin au Népal, État montagneux particulièrement stratégique en raison de sa situation géographique qui le prend en tenailles entre la Chine et l’Inde, l’actuel gouvernement centriste se montre bien plus favorable à un double rapprochement indo-américain, une décision impensable lorsque les maoïstes étaient au pouvoir. Aujourd’hui encore, les communistes, naturellement en faveur des nouvelles routes de la soie chinoises, considèrent l’ingérence américaine comme une atteinte à la souveraineté du Népal. Pour autant, en février dernier, le Parlement népalais a approuvé le projet, longtemps ajourné, d’aide de 500 millions de dollars accordé par la US Millenium Challenge Corporation, une agence gouvernementale d’aide au développement. Ce financement devrait contribuer à moderniser les infrastructures routières et électriques du Népal, et soutenir son intégration économique avec l’Inde. Contrairement à New Delhi, Katmandou a condamné l’invasion russe de l’Ukraine lors de la dernière Assemblée générale de l’ONU, tout comme le Bhoutan et surtout le Bangladesh, avec lequel l’administration Biden tente de réchauffer les relations afin de l’intégrer lui aussi au dispositif indo-pacifique.
Dans sa compétition face à Pékin, Washington a, semble-t-il, trouvé avec l’Inde une partenaire asiatique d’autant plus efficace pour soutenir ses efforts diplomatiques qu’elle a tout intérêt à réduire considérablement la sphère d’influence de la Chine en Asie du Sud. À cet égard, la collaboration indo-américaine n’en est donc qu’à ses débuts et promet de se renforcer dans les années à venir.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 13/04/2022.