Joe Biden, et même Donald Trump avant lui, ont prêché la fin des “guerres sans fin” dans lesquelles les États-Unis s’engageaient sans véritable vision à long terme, et surtout sans véritable assurance de succès, tant les conflits ont, par nature, des issues incertaines. Pourtant, le risque de voir le scénario de l’invasion de l’Irak en 2003 se répéter avec l’Iran devient de plus en plus crédible pour les analystes. Si les comparaisons ont leurs limites, on ne peut que constater de frappantes similitudes entre le contexte qui prévalait alors en 2003 dans la préparation de la chute de Bagdad, et celui d’aujourd’hui qui voit le débat s’hystériser de plus en plus à l’encontre de Téhéran.
Le précédent irakien
En septembre 2002, Israël, par la voix de Benjamin Netanyahu, pressait le Congrès américain de soutenir l’administration Bush dans son projet d’invasion, en raison de la présence d’armes de destruction massive, chimiques et surtout nucléaires.
“En septembre 2002, Netanyahu, formulait une prophétie qui ne s’est jamais réalisée : “Si vous déposez Saddam Hussein, je vous promets que les conséquences n’en seront que positives pour la région”. Six mois plus tard, la guerre en Irak inaugurait une décennie de violences et d’instabilité”
Le Premier ministre israélien attestait alors formellement de la réalité d’un tel arsenal et formulait une prophétie qui ne s’est jamais réalisée : “Si vous déposez Saddam Hussein, je vous promets que les conséquences n’en seront que positives pour la région”. Six mois plus tard, la guerre en Irak inaugurait une décennie de violences et d’instabilité dont le Moyen-Orient ressent encore aujourd’hui les effets. Cette invasion, au demeurant illégale car s’étant opérée sans mandat de l’ONU, est désormais unanimement reconnue comme une erreur historique de la diplomatie américaine.
Israël et “faucons” à la manœuvre
Aujourd’hui, l’État hébreu use de la même méthode et agite la peur d’un Iran devenu puissance nucléaire pour construire une coalition de pays arabes, avec l’appui logistique et moral des États-Unis, sous le nom de Middle East Air Defense Alliance. Ce projet d’alliance militaire est activement soutenu par les “faucons” au sein de l’administration Biden, et les divers lobbies qui rejettent toute normalisation des relations avec Téhéran. Il ignore pourtant le rôle d’acteur régional majeur qui reste celui de l’Iran, une réalité incontournable qui a précisément motivé les puissances du Moyen-Orient, dont l’Arabie saoudite, à entamer des efforts de dialogue avec la République islamique.
“Aujourd’hui, l’État hébreu agite la peur d’un Iran devenu puissance nucléaire pour construire une coalition de pays arabes, avec l’appui logistique et moral des États-Unis, sous le nom de Middle East Air Defense Alliance”
Alors que Joe Biden avait fait de la restauration du Joint Comprehensive Plan of Action et de la normalisation des relations avec l’Iran une promesse de campagne, le risque d’une escalade des tensions semble réel, et pourrait entraîner à nouveau les États-Unis dans une nouvelle “guerre sans fin” aux conséquences incalculables, alors qu’une issue diplomatique favorable à la paix est encore possible.
Quand le programme nucléaire iranien dérape
Le programme nucléaire iranien “effraie” depuis ses débuts il y a vingt ans. Pourtant, en dépit de fortes oppositions, notamment d’Israël et des alliés arabes des États-Unis, l’accord de Vienne a pu voir le jour en 2015, assurant une surveillance internationale sans précédent des progrès technologiques de l’Iran, et lui imposant des limites pour ne pas militariser son programme, en échange de gains économiques. L’AIEA [Agence internationale de l’énergie atomique] a confirmé à maintes reprises que l’Iran avait respecté ses engagements tant que l’accord était en vigueur, tandis que Joe Biden lui-même en a souligné les atouts et a rappelé que c’était Donald Trump, et non l’Iran, qui avait décidé unilatéralement de s’en retirer. Jusqu’à présent néanmoins, la Maison-Blanche a raté de nombreuses occasions de restaurer le JCPoA. En représailles, l’Iran a poursuivi son enrichissement d’uranium bien au-delà des normes imposées, au point d’être devenu un “État du seuil” et de susciter les alarmes de l’AIEA et de ses voisins régionaux.
La guerre, une mauvaise option stratégique
Les appels à la guerre risquent donc de s’amplifier d’autant plus si l’option diplomatique est mise de côté. Y céder serait néanmoins une grave erreur stratégique de la part de Washington, et un calcul à courte vue. Il suffit de considérer l’enlisement de la guerre en Ukraine et ses conséquences sur la géopolitique mondiale pour comprendre que les maux actuels – insécurité alimentaire, hausse des cours de l’énergie, inflation galopante y compris aux États-Unis – seraient démultipliés, par le jeu des alliances, si les États-Unis entraient en guerre contre Téhéran. Rappelons tout de même que l’Iran peut exercer un contrôle non négligeable sur le détroit d’Ormuz par où transite 20 % du commerce d’hydrocarbures mondial… et que compte tenu de son poids démographique, de son rôle stratégique au Moyen-Orient et de ses capacités militaires, une intervention militaire promettrait aux États-Unis comme à leurs alliés un nouveau Vietnam.
“Il suffit de considérer l’enlisement de la guerre en Ukraine et ses conséquences sur la géopolitique mondiale pour comprendre que les maux actuels – insécurité alimentaire, hausse des cours de l’énergie, inflation galopante – seraient démultipliés, par le jeu des alliances, si les États-Unis entraient en guerre contre Téhéran”
Il ne faut pas négliger enfin la position de l’opinion américaine, largement échaudée par les désastres irakiens et afghans, qui refuse plus que jamais la perspective d’un nouveau conflit lointain. Certes imparfait, le JCPoA avait le mérite de lutter efficacement contre le risque de prolifération nucléaire. Alors que les négociations demeurent ouvertes, Joe Biden se trouve donc aujourd’hui à l’heure du choix : tenir sa promesse de campagne, ou inscrire son mandat dans les pas de Georges W. Bush, qui déplore aujourd’hui son propre héritage politique.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 20/07/2022.