Le Joint Comprehensive Plan of Action a fêté ses 7 ans le 15 juillet dernier, mais ce pourrait être son dernier anniversaire. Au bout d’un an de négociations, aucune avancée véritable n’a encore vu le jour. Au contraire, la fenêtre diplomatique se referme à mesure que le temps passe et que les discussions s’enferrent dans la stagnation. Toutes les parties sont à blâmer dans l’affaire, et toutes ont pourtant grandement à y perdre. Pour l’Occident, la fin de l’accord de Vienne réduirait à néant des années d’effort en matière de non-prolifération nucléaire au Moyen-Orient. L’échec des négociations entraînerait une escalade militaire dans la région, alors que celle-ci a un rôle capital à jouer dans la crise énergétique globale engendrée par la guerre en Ukraine. Mais pour l’Iran, les conséquences seraient encore plus dramatiques puisqu’elles engageront son avenir.
Aux yeux des Européens et de Washington, il ne fait aucun doute que l’échec du dernier round de négociations à Doha le mois dernier (qui n’a pas permis de régler les différends et a même entraîné la réouverture de certains sujets a priori réglés) démontre que les diplomates iraniens cherchent encore à gagner du temps. Au mieux, dans l’optique d’obtenir du régime un consensus pour accepter un accord sans garantie de pérennité. Au pire, pour accélérer le programme nucléaire iranien.
En effet, au-delà des questions qui fâchent comme le statut des Gardiens de la Révolution, la principale et légitime préoccupation des Iraniens demeure l’assurance, jamais obtenue, qu’un nouveau deal survivra au mandat de Joe Biden. Le retrait unilatéral de Donald Trump en mai 2018 avait montré la fragilité des engagements. Le fait que Joe Biden n’ait pas allégé la « pression maximale » durant les négociations, n’ait accordé aucune concession, et soutienne la formation d’une coalition israélo-arabe, n’a pas été de nature à rassurer les Iraniens sur ce point. Alors qu’une alternance politique à Washington est déjà jugée hautement probable en 2025, on comprend que cette garantie soit déterminante pour obtenir la signature iranienne.
Un scénario demeure en revanche certain : en cas d’échec définitif du JCPoA, les conséquences politiques, économiques et sécuritaires seront désastreuses pour l’Iran.
En dépit de ses faiblesses, un accord nucléaire renouvelé lui apporterait en effet un véritable soulagement économique aux effets immédiats. Débarrassé des sanctions, Téhéran pourrait exporter près d’un million de barils de brut quotidiens supplémentaires. Quand bien même le cours repasserait sous la barre des 80 dollars en raison de la hausse de l’offre, la rente pétrolière de l’Iran représenterait près de 80 millions de dollars par jour. Ce contexte favorable permettrait une hausse des exportations de produits pétrochimiques, d’acier et de biens manufacturés, et une baisse des coûts d’importation des denrées alimentaires et du matériel médical. Enfin, l’Iran pourrait avoir de nouveau accès à ses actifs bloqués à l’étranger, des réserves de change se chiffrant en plusieurs milliards de dollars qui pourraient stabiliser la monnaie et réduire le taux d’inflation, créant ainsi une vraie bouffée d’oxygène pour l’économie iranienne, au moins durant les deux dernières années du mandat de Joe Biden.
Car depuis 2012, la puissance économique de l’Iran s’érode inexorablement. Sans être au bord de la rupture, elle multiplie les failles. Faute d’investissements, de rénovations et de transfert de technologies, ses infrastructures sont vieillissantes, y compris les plus cruciales comme celles de l’industrie énergétique. Le discours officiel persiste à souligner la formidable résilience de l’économie iranienne, qui est réelle et qui a épargné au peuple iranien d’insupportables privations. Pour autant, cette économie de résistance emprisonne l’Iran dans la stagnation et freine son développement. En dix ans, le niveau de vie des Iraniens s’est dégradé, et si cette tendance persiste, d’ici 2030 le PIB par habitant passera sous la barre des 15 000 dollars.
Isolé économiquement, l’Iran demeurerait également ostracisé sur la scène internationale, et ce d’autant plus facilement que les Européens, galvanisés par la revitalisation de l’alliance transatlantique face à la Russie, accepteront plus volontiers de participer à une coalition américaine contre Téhéran. La récente résolution votée à l’ONU par près de 30 pays sur 35 pour condamner le manque de coopération de l’Iran avec l’AIEA, contraste fortement avec la situation de 2020, où le Conseil de Sécurité et notamment les Européens, avaient opposé une fin de non-recevoir aux tentatives de snap-back de l’administration Trump.
A Téhéran, les conservateurs misent sur l’importance des relations stratégiques entre l’Iran et les grandes puissances asiatiques, qui ont effectivement opposé leur veto à cette résolution (comme la Chine et la Russie) ou se sont abstenues (comme l’Inde), pour résister aux pressions occidentales. Certes, la visite récente de Vladimir Poutine paraît valider cette stratégie. Mais les expériences de la décennie passée montrent que ce soutien politique et économique demeure limité et sous conditions, l’Iran restant une variable d’ajustement au gré des aléas relationnels de la Russie et de la Chine avec les Etats-Unis. Par ailleurs, le renforcement des intérêts communs entre ces deux puissances et celles du Moyen-Orient, notamment Israël et l’Arabie Saoudite, porte à croire que l’Iran peinera à obtenir les garanties sécuritaires et le niveau de coopération économique qu’il espère pour pallier à la fin éventuelle du JCPoA.
Dans un contexte aussi incertain, une minorité croissante au sein du régime souhaiterait faire véritablement de l’Iran une puissance nucléaire, suivant en cela l’exemple du Pakistan, afin de recréer un équilibre régional face à Israël, la seule puissance nucléaire de la région. Face à cet état de fait, le monde entier, et surtout les Etats-Unis, seraient dès lors contraints de réviser leurs relations avec Téhéran. Pari très hasardeux, tant il garantit presque automatiquement une réponse militaire israélienne et une escalade des tensions régionales. Car si les Etats-Unis répugnent à s’engager dans un nouveau conflit au Moyen-Orient, Israël ne poserait aucune difficulté à y agir comme proxy. De même, tous les efforts de normalisation entrepris avec les pétromonarchies sunnites du Golfe Persique, par le jeu des alliances, seraient alors réduits à néant.
Résister aux sanctions était une tactique pertinente, qui a conféré à l’Iran une position de force pour négocier un meilleur accord avec les Etats-Unis. Maintenant que ce deal existe, une stratégie de long terme doit être privilégiée. La République islamique se trouve aujourd’hui face à un choix qui engage l’avenir de l’Iran : ressusciter l’accord sur le nucléaire, ou supporter les conséquences de son échec. De même, l’administration Biden doit dépasser les considérations électorales, par nature court-termistes (et qui l’ont empêché d’accorder des concessions, même symboliques, à Téhéran) pour engager une approche diplomatique plus flexible et courageuse vis-à-vis de l’Iran. Les bénéfices d’un retour au JCPoA sont trop importants pour être le jouet des circonstances. Il est encore possible de faire survivre cet accord. Au cours de ce laps de temps très bref, l’Iran peut conclure un deal en étant en position de force. S’il ne saisit pas cette opportunité, l’occasion ne se représentera sans doute plus, compte tenu des risques économiques et militaires qui le guettent en cas d’échec.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 31/07/2022.