Et pourquoi la France prend-elle si ouvertement fait et cause pour l’Arabie saoudite et les autres pétromonarchies ?
Quelques jours avant que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni annoncent la mise en place d’Instex, cette société censée résoudre le flux financier depuis ou vers l’Iran, Paris critiquait le programme balistique iranien et menaçait de sanctionner le corps des gardiens de la révolution iranien et les personnes physiques travaillant sur ce programme. Étonnamment, cette annonce précédait de quelques jours l’annonce de la visite prochaine du prince héritier saoudien Mohammad Bin Salmane au Pakistan, pays dont l’Arabie saoudite ne cesse de se rapprocher. C’était oublier à quel point la question des missiles balistiques est un sujet sensible en Iran, aussi bien pour l’État que pour la population iranienne.
Les iraniens se souviennent que pendant les huit années de guerre avec le régime de Saddam Hossein, la planète entière, en ce compris la France, apportait son soutien sans faille à Bagdad. Le France jouait un rôle particulièrement décisif en faveur du régime de Saddam en occupant le rôle, peu enviable, de principal fournisseur de missile. Paris était allé jusqu’à vendre des participations importantes dans ses sociétés d’armement à des sociétés offshore dont le capital était détenu par les proches de Saddam. Ainsi, la France avait rompu de manière flagrante avec sa politique qui consistait à ne pas prendre parti en faveur de l’un des belligérants dans le cadre des conflits étrangers.
Demander à l’Iran d’abandonner son programme balistique, à un moment où le pays a abandonné son programme nucléaire au profit de l’accord nucléaire de juillet 2015 et à un moment où Téhéran est sous le régime de l’embargo international sur les armes conventionnelles et les missiles balistiques, revient à demander à l’Iran de se dessaisir de toute capacité militaire défensive; chose inacceptable pour les iraniens bien évidemment. Cette demande est d’autant plus surprenante que Paris, au lendemain de l’affaire Khashoggi, ne cesse d’augmenter ses ventes d’armements sophistiqués au profit de l’Arabie Saoudite elle-même engagée dans cette guerre meurtrière contre le peuple yéménite.
Cela aurait été comique si ce n’était pas indécent. Surtout que Paris connait parfaitement les efforts que mènent en ce moment Ryad dans le domaine de développement des missiles balistiques. C’est ainsi que le Washington Post a dévoilé le 23 janvier dernier que Ryad avait inauguré sur le site d’Al Watah, situé à quelques heures de Ryad, des installations militaires destinées à fabriquer des missiles à grande portée à base de fuel solide. Ce site saoudien est en tout point identique au site Pakistanais situé à Khānpur au nord-ouest d’Islamabad, dévoilant, si besoin était, la coopération pakistano-saoudienne dans ce domaine.
La visite du Prince héritier Saoudien au Pakistan suivra de quelques semaines celle du prince héritier d’Abou Dhabi traduisant la volonté de ces deux pays d’encourager et de développer leur coopération avec l’armée pakistanaise dans le domaine militaire et balistique en particulier. L’alliance anti-iranienne de ces deux pays est un secret de polichinelle. C’est ainsi particulièrement surprenant que le gouvernement français pointe du doigt l’Iran dans ce domaine et observe parallèlement un silence de plomb sur les initiatives similaires des ennemis de l’Iran dans la région. Paris risque de perdre toute crédibilité en sa qualité d’intermédiaire honnête dans les conflits du Moyen-Orient en prenant si ouvertement fait et cause en faveur des pétromonarchies du golfe persique. L’absence de la désignation d’un ambassadeur de France à Téhéran, depuis plus de six mois, ne saurait encourager Téhéran à prendre au sérieux les vœux de Paris d’aider l’Iran à sortir de la crise actuelle avec Washington.
Il en faut peu pour que les iraniens considèrent que l’accord nucléaire de 2015, qui n’a d’ailleurs pas livré ses promesses économiques, n’était qu’un simple prétexte, menant à l’arrêter leur programme balistique, vivement encouragé par la France, et par conséquence à un désarmement total de l’Iran.
Il y a fort à parier que les iraniens ne se laisseront pas faire une deuxième fois.
By Ardavan Amir-Aslani
Paru dans le Nouvel Economiste du 5 février 2019.