Alors que les pourparlers ont repris à Vienne début août, l’Union européenne a proposé aux autres parties une version jugée « finale » du texte, considérée comme la dernière chance avant que la fenêtre diplomatique ne se referme définitivement. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrel s’est montré catégorique sur le caractère définitif de cette proposition. En effet, pour les Etats-Unis et les Européens, freiner les progrès technologiques du programme nucléaire iranien, qui a continué son développement en parallèle des discussions ouvertes en 2021, est devenu une impérieuse nécessité. A Washington, les officiels ont confirmé leur volonté d’aller vite, considérant l’offre européenne comme la « seule base possible » pour parvenir à un accord. C’est, de facto,acter la fin des négociations et imposer une forme d’ultimatum à Téhéran, chose difficilement acceptable pour la République islamique. En outre, certains au sein de l’administration Biden doutent encore que l’Iran acceptera de revenir sur ses progrès nucléaires en échange d’un allègement des sanctions économiques.
Pourtant, lors de la dernière reprise des négociations, l’Iran a décidé contre toute attente de renoncer à deux exigences qui, depuis le début de l’année 2022, bloquaient toute avancée diplomatique, ce qui porte à croire que l’issue pourrait être positive. Téhéran abandonne donc sa demande de retrait des Gardiens de la Révolution de la liste des Foreign Terrorist Organizations, prenant acte du refus de Joe Biden de revenir sur cette décision de Donald Trump. C’était en effet l’un des principaux points de blocage depuis six mois, infranchissable sans effort politique de la part des Iraniens. L’acceptation d’un nouvel accord sans garanties américaines concernant le maintien des Etats-Unis dans le cadre du traité constitue la seconde concession de taille accordée par Téhéran. Pour certains observateurs, ce sont les plus grandes avancées obtenues depuis les élections présidentielles iraniennes, qui ouvrent donc la perspective inespérée d’une signature prochaine.
À quelques mois des élections de mid-term, l’encadrement du programme nucléaire iranien représenterait une grande victoire diplomatique pour Joe Biden, en dépit du fort clivage politique qu’elle suscitera sur la scène politique américaine, compte tenu de l’opposition unanime des Républicains et des voix discordantes au sein même du camp démocrate. Pour l’Iran, le bénéfice serait également important puisqu’une levée des sanctions soulagerait enfin son économie mise en grande difficulté depuis quatre ans, en dépit des diverses manœuvres de contournement élaborées.
Bien que la plupart des « sujets qui fâchent » aient été résolus, la réponse iranienne demeure encore suspendue à une nouvelle condition : que l’AIEA renonce à son enquête, lancée depuis trois ans, sur l’origine de l’uranium artificiel utilisé au sein de divers sites nucléaires iraniens, y compris ceux fermés aux experts de l’agence atomique. La demande est néanmoins très difficile à satisfaire compte tenu du fort déficit de confiance qui existe désormais entre l’AIEA et Téhéran, depuis le refus des Iraniens de maintenir l’accès de l’agence à ses propres caméras de surveillance au sein des sites nucléaires. N’étant ni signataire du JCPoA, ni engagée formellement dans les négociations, l’agence atomique n’a qu’une influence relative dans le processus diplomatique. Par ailleurs, les Occidentaux tiennent au maintien de cette enquête, afin de conserver un moyen de pression sur la République islamique et la contraindre à respecter ses obligations de transparence.
Exiger la suspension du travail des experts onusiens est certes une demande irréaliste. Mais son maintien permet aux Iraniens de refuser la proposition européenne et de conserver la possibilité de faire évoluer ce texte « ultime ». De surcroit, nul n’est dupe du fait que l’empressement européen demeure en grande partie motivé par l’urgence de faire baisser les cours du brut en réintégrant l’Iran sur le marché des hydrocarbures, ce qui offre à la République islamique un moyen de pression supplémentaire. Pour autant, face à la perspective d’une entente avec les Etats-Unis, le régime demeure encore divisé entre la lutte contre l’impérialisme américain, un de ses fondamentaux idéologiques, et la nécessité rappelée par le Guide Suprême Ali Khamenei de libérer enfin l’économie iranienne des sanctions. La mise en application de l’accord, qui prendra plusieurs mois, est une autre inconnue qui explique les réticences à Téhéran.
En vérité, tant sur plan économique que sécuritaire, les Etats-Unis comme l’Iran ont tout à gagner à s’entendre, et le soutien d’une partie de l’armée et des services de renseignements israéliens à cette éventualité est une nouveauté inattendue qui confirme le caractère propice du contexte actuel.
Bien que depuis deux ans, l’Etat hébreu ait multiplié assassinats et frappes stratégiques afin de ralentir le programme nucléaire iranien, cette stratégie a démontré son inefficacité. Par ailleurs, le surprenant repositionnement, encore officieux, des Israéliens survient étrangement après la récente tournée moyen-orientale de Joe Biden. En dépit d’un discours ambigu et de son soutien à la création de « l’OTAN du Moyen-Orient », le président américain demeure attaché au rétablissement du JCPoA, jugé comme une meilleure garantie de sécurité pour l’Arabie Saoudite et Israël qu’une surmilitarisation de la région. Le revirement de l’état-major israélien semble souscrire à ce point de vue et résulte d’une analyse pragmatique. Reconnaissant que l’Iran n’abandonnera jamais ses ambitions nucléaires sans incitations économiques et politiques fortes, Tsahal et le Mossad estiment qu’un meilleur accord nucléaire vaut sans doute mieux qu’une situation de statu-quo, qui n’a amélioré en rien le niveau de sécurité de l’Etat hébreu.
Cette nouvelle configuration géopolitique autorise donc à penser que même en cas d’échec définitif des négociations viennoises, des alternatives diplomatiques pourraient être envisagées, comme un accord intérimaire qui éviterait une nouvelle salve de sanctions. En tout état de cause, la voie de la normalisation entre Washington et Téhéran, si elle demeure semée d’embuches, ne pourra pas rester définitivement close.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 14/08/2022.