Début février, alors qu’une mère et son jeune enfant de six ans se rendaient en taxi à la mosquée de Médine pour prier, l’horreur et l’intolérable se sont fait jour. Le chauffeur de taxi, ayant découvert à travers les prières que murmuraient la mère qu’ils étaient des chiites, a arrêté le taxi devant un café, pris une bouteille en verre, la cassa et égorgea le jeune garçon de six ans. Il s’appelait Zakaria Al-Jaber.
Cet incident qui est passé totalement inaperçu dans les médias français traduit la réalité de la haine du wahhâbisme pour tout ce qui ne relève pas de la plus stricte observance de l’orthodoxie la plus radicale sunnite. Or, cet incident n’est pas isolé. Il n’est pas l’œuvre d’un fou comme essaient de le maquiller les autorités saoudiennes. Cet acte odieux n’est pas l’acte d’un déséquilibré. Il s’agit là de la conséquence d’une campagne menée par le clergé wahhabite peignant les chiites en général comme des apostats dont la mise à mort est la juste récompense.
C’est ce qui anima les autorités saoudiennes qui en janvier 2016 décapitèrent l‘Ayatollah Nimr Al Nimr. C’est également ce qui anima les bourreaux de Daech en Syrie, en Iraq ou encore en Afghanistan lorsqu’ils mettaient à mort les soldats des régimes contre lesquels ils combattaient ou encore les cibles de leurs attentats meurtriers.
Etonnement, les bourreaux de Daech, qui n’avaient qu’une connaissance toute relative de l’Islam en général et du chiisme en particulier, n’avaient retenu qu’une seule chose, à savoir que l’ennemi était le chiite sans d’ailleurs pouvoir dire pourquoi. La raison en est que les chiites sont perçus dans la péninsule arabique comme une sorte de cinquième colonne de l’Iran. Comme s’ils étaient tous des agents iraniens.
Bien sûr, la réalité est toute autre. L’Iran a beau être majoritairement chiite, Téhéran ne les commande pas pour autant. Même s’il est vrai que les chiites ont tendance à identifier l’Iran comme un protecteur potentiel depuis que ce pays n’a plus d’inhibition à vouloir protéger ses coreligionnaires, ils n’en sont pas pour autant des Iraniens.
Il n’en demeure pas pour moins que l‘Arabie Saoudite a réussi à s’auto hypnotiser à un tel point que ce pays, qui ne reconnait pas le droit d’Israël à exister, préfère se rapprocher de Tel Aviv plutôt que de tendre la main à l’Iran, consacrant des milliards de dollars à l’achat des équipements militaires dont son armée ne maitrise pas l’usage. Preuve en est que plus de trois ans après la guerre meurtrière au Yémen, son armée, la mieux équipée de la région, n’a pas réussi à venir à bout des milices Houthis. Sana’a, la capitale du Yémen est encore à plus de mille kilomètres de distance des positons saoudiennes. Il n’en va pas de même, en revanche, des cinquante milles civils qui y ont laissé la vie et des millions d’autres au bord de la famine.
Le soutien financier apporté par Ryad à l’Etat islamique n’est sans doute pas étranger à la haine que les milices de l‘Etat islamique éprouvaient à l’encontre des chiites. Le paradoxe de la situation est que plus les pétromonarchies arabes du golfe persique attisent la flamme du sectarisme religieux plus elles vont pousser les chiites arabes dans les bras de l’Iran. En effet, c’est dans le regard haineux des wahhabites que les chiites enracinent leur sentiment de différence et voient en l’Iran un salut auquel ils n’auraient pas pensé d’ordinaire.
Dans le mort odieuse de ce jeune garçon de 6 ans, les Saoudiens n’ont fait que transformer leur discours haineux en réalité. Les chiites saoudiens sont en train de devenir vraiment la cinquième colonne de l’Iran.
Par Ardavan Amir-Aslani
Paru dans le Nouvel Economiste du 27 février 2019.