L’été 2022 a vu le Hezbollah fêter ses quarante ans d’existence, bien que la date exacte de la fondation du mouvement soit imprécise, voire plus tardive – sa première charte ayant été publiée en février 1985. Son chef Hassan Nasrallah a tenu à faire de cet anniversaire une période de festivités pour ses partisans, et l’occasion d’un rappel aux références marquantes de l’histoire du Hezbollah dans sa lutte contre Israël : l’été 1982 bien sûr, mais surtout la guerre de juillet 2006, achevée le 14 août par une absence de victoire de Tsahal contre le mouvement chiite. Inhabituellement spectaculaires pour un mouvement habitué à plus de sobriété dans ses hommages aux combattants disparus, les célébrations visaient avant tout à véhiculer l’image d’un Hezbollah prédominant au Liban, mais néanmoins appelé à se renouveler.
Légitimité dans le monde arabe
Quarante ans après sa fondation dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban, le Hezbollah a vu son statut considérablement évoluer, passant de groupe hétéroclite à celui d’organisation la mieux armée du Moyen-Orient, dotée d’une structure solide et d’une force de frappe lui permettant de s’impliquer dans d’autres conflits régionaux. Il disposerait aujourd’hui de près de 80 000 combattants entraînés, ainsi que de missiles à guidage de précision et de drones sophistiqués, utilisés pour des frappes ciblées ou de l’espionnage. Sa première raison d’être, la guérilla contre Israël, qui a conduit in fine au retrait des troupes israéliennes en mai 2000 du sud-Liban – et sans signature d’un traité de paix semblable aux accords de Camp David – lui a conféré légitimité et respect à travers tout le monde arabe.
“Quarante ans après sa fondation dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban, le Hezbollah a vu son statut considérablement évoluer, passant de groupe hétéroclite à celui d’organisation la mieux armée du Moyen-Orient”
Certes mouvement de lutte armée, le groupe est progressivement devenu un parti politique qui a gagné une influence considérable sur la scène politique libanaise, et relaie l’influence de l’Iran, à qui il doit sa fondation et ses ressources logistiques, au Moyen-Orient.
La mutation du Hezbollah à partir du début des années 1990 a en effet suivi de près les évolutions stratégiques de la République islamique en matière de politique étrangère. Exploitant le potentiel séditieux des minorités chiites, souvent marginalisées, à travers le Moyen-Orient, l’Iran les a activement soutenues en échange de leur adhésion à la doctrine de la Velayat-e Faqih (“gouvernement du docte”), l’un des principaux piliers idéologiques de la République islamique, et le Hezbollah s’est inscrit dès ses débuts dans cette stratégie. Mais la mort de l’Ayatollah Khomeini en 1989 a redéfini les priorités de Téhéran, faisant passer l’exportation de la révolution islamique au second plan, au profit d’une professionnalisation de ses relais extérieurs.
De la guérilla à la politique
Axée à l’origine sur la guérilla, l’action des proxies chiites s’est donc progressivement orientée vers la politique. Le Hezbollah a ainsi démontré une rapide capacité d’adaptation à ces évolutions en participant, dès 1992, à ses premières élections législatives. Mais c’est précisément cette évolution qui lui est aujourd’hui reprochée. Salué encore récemment pour son engagement contre Israël, le Hezbollah s’est éloigné du rôle d’organe de résistance pour devenir un pouvoir de nuisance et d’influence, tant au Liban que dans les pays voisins.
Aux yeux de l’opinion publique libanaise, le Hezbollah fait partie intégrante de cette classe dirigeante corrompue jugée responsable de la dramatique crise économique dans laquelle le Liban s’enfonce depuis 2019, et est régulièrement accusé de résister aux réformes d’un système qui le favorise. Son rôle de relais d’influence de l’Iran, qui demeure incontestable et fait partie intégrante de la politique étrangère iranienne depuis 1979, explique en partie cette volonté d’empêcher toute évolution de la scène politique libanaise, et le mouvement répond généralement par la force aux manifestations et à toute initiative qui viendrait amoindrir son emprise.
“Le Hezbollah s’est éloigné du rôle d’organe de résistance pour devenir un pouvoir de nuisance et d’influence, tant au Liban que dans les pays voisins. Son rôle de relais d’influence de l’Iran, explique en partie cette volonté d’empêcher toute évolution de la scène politique libanaise”
Sur la scène extérieure, son engagement dans la guerre civile syrienne a également été très controversé. Depuis 2013, le Hezbollah aurait envoyé plusieurs milliers de combattants en Syrie, certes pour lutter contre les groupes liés à Al-Qaïda et Daech, mais aussi pour soutenir Bachar el-Assad contre l’opposition syrienne. Cette “ingérence” dans un conflit voisin a essentiellement été interprétée à travers le monde arabe comme une preuve supplémentaire du caractère sectaire du mouvement, une force chiite aux ordres de l’Iran vouée à combattre les sunnites au lieu de se consacrer à sa mission première, la lutte contre Israël. De la même manière, son intervention au Yémen aurait incité six pays arabes à désigner les Houthis comme une organisation terroriste.
Vers un retour aux sources de la lutte contre Israël ?
Certains prônent de longue date un désarmement du mouvement, force incontestable mais fragilisée par les critiques, afin de réduire sa capacité d’action et d’influence. Les Libanais demeurent néanmoins divisés sur cette question, tant l’aura du Hezbollah comme rempart contre l’agressivité d’Israël et la démonstration de son efficacité en la matière à plusieurs reprises restent prégnantes. Cet été, le Hezbollah a justement rappelé le systématisme de ses ripostes en cas “d’agression” israélienne. Les tensions avec Tel-Aviv se sont en effet intensifiées autour de l’exploitation de gisements gaziers dans une zone frontalière maritime contestée.
“C’est avant tout son statut ambivalent qui demeure pour le Hezbollah la meilleure garantie de sa pérennité, et de son maintien au cœur du jeu politique libanais”
Ainsi, début juillet, l’armée israélienne a abattu trois avions sans pilote lancés par le Hezbollah en direction d’une plateforme gazière israélienne récemment installée en Méditerranée. Hassan Nasrallah a alors prévenu qu’Israël ne pourrait pas exploiter ses gisements avant qu’un accord ne soit conclu avec le Liban. De par sa proximité géographique et son arsenal, estimé entre autres à 150 000 roquettes par l’armée israélienne, l’organisation chiite reste considérée comme une menace “très sérieuse” par Tsahal. Ainsi, si renouvellement il doit y avoir, celui-ci s’imposera peut-être par un retour aux sources pour le mouvement. Mais c’est avant tout son statut ambivalent qui demeure pour le Hezbollah la meilleure garantie de sa pérennité, et de son maintien au cœur du jeu politique libanais.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 08/09/2022.