Territoire désertique occupé par l’Espagne à la fin du XIXème siècle et pendant près d’un siècle, le Sahara occidental a été de factoannexé par le Maroc et la Mauritanie en 1975, lors du départ des Espagnols qui ont négligé d’organiser le référendum du peuple sahraoui, en dépit du mandat accordé par l’ONU à cette fin. Depuis lors, le Front Polisario, héritier du Front de libération du Sahara, mène une lutte armée qui a obtenu de la Mauritanie la reconnaissance de l’indépendance du territoire en 1979, mais qui a perduré face au Maroc jusqu’à l’incertain cessez-le-feu de 1991. Le référendum de la population locale, laissé à la charge de Rabat l’année suivante, n’a jamais eu lieu, laissant le statut définitif du Sahara occidental toujours en suspens. Bien que l’ONU considère le Sahara occidental comme un territoire sans administration, il est dans les faits contrôlé à 80% par le Maroc, à 20% par la République arabe démocratique sahraouie, avec pour seule frontière le « mur des Sables » marocain de 2720 km érigé dans les années 80.
Si le conflit sahraoui demeure l’un des plus anciens d’Afrique, c’est qu’on retrouve ici comme ailleurs l’éternel affrontement entre deux légitimités qui ne parviennent pas à faire valoir leur suprématie. Le Maroc justifie l’annexion du Sahara occidental par les Accords de Madrid de 1975, mais aussi par l’histoire et la tradition, les tribus nomades de la région ayant longtemps prêté allégeance aux sultans du royaume chérifien. La République arabe sahraouie démocratique, proclamée en 1976 par le Front Polisario, invoque pour sa part le simple droit à l’autodétermination des peuples et rejette les revendications marocaines comme la manifestation d’une idéologie expansionniste. Le Sahara occidental intéresse Rabat non seulement pour des questions économiques (exploitation du pétrole et des ressources halieutiques), mais aussi pour des questions de sécurité – le royaume soupçonnant les chefs Sahraouis d’avoir des liens de proximité avec les mouvements djihadistes – et de stabilité intérieure. La souveraineté sur le Sahara occidental est devenu un tel enjeu de fierté nationale et de consensus au Maroc que le roi Mohammed VI présente le dossier « comme le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international ».
A la guerre armée a donc succédé la guerre diplomatique, chacune des parties militant activement pour que sa souveraineté soit mondialement reconnue. En 2006, le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan considérait qu’aucun pays ne reconnaissait celle du Maroc sur le Sahara occidental. Mais le soutien à la cause sahraouie s’est également émoussé avec le temps : seuls 30 pays reconnaissaient la légalité de la République arabe démocratique sahraouie en 2020, contre 79 en 1990. Entre autres solutions, le Maroc a proposé d’accorder une large autonomie au Sahara occidental en échange de son annexion pleine et entière au royaume. La position de l’Union européenne et de l’Espagne, l’ancienne puissance coloniale, favorise en revanche le référendum auprès de la population sahraouie, position réaffirmée cet été et qui a généré une crise diplomatique entre Madrid et Rabat.
Néanmoins, le mandat de Donald Trump a ouvert une brèche inattendue et salutaire pour le Maroc. En reconnaissant unilatéralement en 2020 la souveraineté du royaume sur le Sahara occidental en échange de la normalisation de ses relations avec Israël, l’ancien président américain a donné un avantage considérable au Maroc face à sa voisine l’Algérie, soutien traditionnel des indépendantistes sahraouis depuis 1975, officiellement au nom du droit à l’autodétermination des peuples. Les deux pays ont d’ailleurs rompu leurs relations diplomatiques en août 2021. Le conflit reste pour l’instant de basse intensité, mais depuis cet été, l’irruption de la Tunisie aux côtés des indépendantistes laisse craindre une escalade des tensions. Fin août, le président tunisien Kais Saied recevait le président de la République arabe sahraouie démocratique et chef du Front Polisario, Brahim Ghali, dans le cadre de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, et avec tous les égards dus à un chef d’Etat. Face à la colère du Maroc, la Tunisie a cependant émis un refus cinglant de s’excuser et rappelé sa position de neutralité sur le dossier du Sahara occidental.
Avec deux de ses principaux voisins maghrébins ligués contre lui, le bilan de cette fin d’été est donc particulièrement inquiétant pour le Maroc. Le risque est en effet d’être victime d’isolement sur la scène internationale, alors même que la réconciliation avec l’Espagne n’a pas été officialisée et que l’Algérie, pays producteur de pétrole, profite de cet avantage pour renforcer sa position auprès de l’Union européenne aux prises avec les conséquences énergétiques de la guerre en Ukraine. Si le dialogue demeure bloqué entre toutes les parties, le risque d’un nouveau conflit armé a au contraire été réactivé par ces tensions diplomatiques. Encore sous contrôle, il ne lui faudrait pas grand chose, selon les analystes – un incident frontalier, une maladresse diplomatique supplémentaire – pour embraser le Maghreb.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 11/09/2022.