Alors que les manifestations en Iran entrent dans leur quatrième semaine et ne donnent aucun signe d’affaiblissement, la question de l’avenir des négociations sur l’accord nucléaire se pose avec une acuité particulière. La situation domestique iranienne impose en effet aux Occidentaux signataires du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA) de trouver un équilibre difficile et de distinguer la question des droits humains de ce qui relève strictement de l’accord. Négociations contre positions : d’un côté, ne pas dénoncer la violence de la répression apparaît comme une lâcheté intellectuelle. De l’autre, s’exprimer à son sujet est considéré par Téhéran comme une intolérable ingérence n’ayant rien à voir avec l’accord. De surcroît, un soutien affiché des Occidentaux aux manifestants fait courir le risque de délégitimer leur combat, alors que le régime iranien persiste à n’y voir qu’un “complot de l’étranger”. Ce discours officiel a déjà été formulé publiquement par le Guide suprême, qui accuse les États-Unis et Israël d’avoir fomenté la révolte.
Ambivalence française et américaine
Il apparaît en effet délicat d’ajouter la question des droits de l’homme à cette équation diplomatique particulièrement complexe, quand l’Iran a systématiquement refusé de négocier sur des sujets autres que les questions techniques relevant strictement de la mise en application du JCPoA. Et dans les faits, toutes les parties ont finalement toujours respecté cette distinction. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison si les propres exigences de l’Iran sur des sujets connexes – ainsi la demande de retrait des Gardiens de la révolution de la liste des Foreign Terrorist Organizations – ont essuyé un refus cinglant de la part des États-Unis, l’obligeant finalement à y renoncer. Lancé dans une phase de radicalisation violente qu’il juge désormais vitale pour sa stabilité, le régime ne semble pas encore enclin à faire de nouvelles concessions.
Même si elle a réclamé le 5 octobre des sanctions européennes “ciblées contre les responsables de la répression” – avec notamment le gel des avoirs étrangers et de leur droit à voyager – la France a ainsi attendu près de deux semaines après le début des événements en Iran pour afficher cette position, et a vu en guise de représailles immédiates son chargé d’affaires à Téhéran convoqué par le ministère des Affaires étrangères iranien. C’est dire si le sujet est sensible… En observant d’emblée un prudent mutisme, Paris a donc traduit très clairement les nouvelles difficultés dans lesquelles sont entrées les négociations entre Occidentaux et Iraniens.
“En observant d’emblée un prudent mutisme, Paris a traduit très clairement les nouvelles difficultés dans lesquelles sont entrées les négociations entre Occidentaux et Iraniens”
Les États-Unis observent une position qui flirte tout autant avec l’ambivalence. Prenant radicalement le contre-pied de celle observée en 2009 lors du Mouvement Vert, Washington a très rapidement apporté un soutien public aux manifestants. Joe Biden a imposé des sanctions contre la police des mœurs iranienne, jugée responsable de la mort de Mahsa Amini. À moins d’un mois des élections de mid-term, le président américain ne peut en effet se permettre de négocier ouvertement avec un régime lancé dans la répression violente de son peuple. Pour autant, la porte-parole de la Maison-Blanche a précisé qu’une telle position n’était pas incompatible avec des négociations sur la résurrection du JCPoA.
Les négociations sur l’accord de Vienne se poursuivent
Il semble donc que les discussions sur l’avenir de l’accord nucléaire, qui n’ont cessé de s’enrayer depuis un an et demi, se soient poursuivies en dépit de la situation domestique tendue en Iran.
Quelques jours après la mort de Mahsa Amini, alors que les diplomates iraniens étaient présents à New York pour l’Assemblée générale des Nations Unies, il n’a échappé à personne que le ministre des Affaires étrangères iranien s’y était attardé, s’exprimant en outre dans les colonnes de la presse locale. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien a d’ailleurs confirmé en début de semaine dernière que des échanges entre Washington et Téhéran s’étaient tenus en marge de l’Assemblée générale et a insisté, avec un optimisme peu coutumier, sur le fait que “des efforts étaient en cours par l’intermédiaire du coordinateur européen [Enrique Mora] et d’autres médiateurs”.
“La confirmation par le Quai d’Orsay de la détention de cinq ressortissants français et franco-iraniens laisse penser que l’Iran pourrait user de ce moyen de pression également avec la France pour obtenir de nouvelles concessions diplomatiques”
Dans le même temps, l’Iran et l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) ont repris leurs échanges à Vienne sur la question des sites nucléaires non déclarés, Téhéran se disant prêt à coopérer pour démontrer le caractère pacifique de son programme nucléaire. La diplomatie des otages est même venue s’inviter dans les débats, avec la libération par Téhéran d’un Irano-Américain et de son fils, détenus en Iran depuis 2016, contre le dégel de 7 milliards de dollars d’avoirs bloqués à l’étranger. La confirmation par le Quai d’Orsay de la détention de cinq ressortissants français et franco-iraniens laisse penser que l’Iran pourrait user de ce moyen de pression également avec la France pour obtenir de nouvelles concessions diplomatiques.
Washington redevient le maître des horloges
Ce timing ne semble pas le fait du hasard : ces manœuvres traduiraient-elles l’urgence d’un régime aux abois, finalement prêt à quelques ouvertures pour obtenir un accord dans l’espoir d’améliorer sa situation économique, et de calmer en partie les manifestants ? Il lui semble possible d’y parvenir si les États-Unis font preuve de volonté politique. Mais c’est là que le bât blesse, car l’approche d’une échéance électorale décisive pour l’administration Biden, et une situation domestique que le régime iranien n’avait pas anticipée, ont permis à Washington de redevenir le maître des horloges. Bien moins pressée que l’Iran pour signer un nouvel accord, la Maison-Blanche a désormais tout intérêt à attendre l’issue du mouvement contestataire, et aucun à répondre à ses demandes de garanties sur la pérennité de l’accord, au demeurant bien difficile à accorder sans vote favorable du Congrès… à moins d’une évolution démocratique du régime, tout aussi improbable à court terme.
“Bien moins pressée que l’Iran pour signer un nouvel accord, la Maison-Blanche a désormais tout intérêt à attendre l’issue du mouvement contestataire, et aucun à répondre à ses demandes de garanties sur la pérennité de l’accord”
Le rapport de force s’est donc inversé, cette fois en défaveur de Téhéran. Signataire d’un nouvel accord, l’administration Raïssi aurait pu faire valoir cette victoire diplomatique auprès des Iraniens et promettre, à défaut de la libéralisation du régime, une amélioration de la situation économique. Aujourd’hui, elle ne dispose donc d’aucune perspective positive pour racheter la paix sociale, et ne pourra vraisemblablement pas l’obtenir rapidement des Occidentaux, lassés par ses atermoiements. À force de jouer la montre, la République islamique s’est privée d’une possibilité concrète d’améliorer le sort des Iraniens et d’assurer – peut-être temporairement – sa survie.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 13/10/2022