Focus aujourd’hui sur la Turquie, avec un ouvrage : La Turquie, nouveau califat ? paru aux éditions de l’Archipel, pour une interrogation sur l’avenir de ce pays, un ouvrage écrit par le géopoliticien Ardavan Amir-Aslani, avocat au barreau de Paris.
franceinfo : Ardavan Amir-Aslani, pourquoi la Turquie, nouveau califat ?
Ardavan Amir-Aslani : Parce que le califat est l’islam politique. C’est l’une des options qu’Erdogan ne cesse de revendiquer dans sa volonté de réanimer de nouveau, de ressusciter l’Empire ottoman.
Erdogan, son projet civilisationnel, pour vous, c’est le califat, le néo ottoman, le pantouranisme, qu’est-ce que c’est ?
Le pantouranisme est une expression persane, inventée par le grand poète persan Ferdowsi, pour qualifier les ennemis historiques de la Perse, à savoir les états turcophones. Et effectivement, aujourd’hui, Erdogan cherche, à travers le renouveau du retour en Turquie du pantouranisme, à pouvoir retrouver la dimension impériale du passé, qui dépasse la dimension territoriale de ce que fut naguère l’Empire ottoman, qui englobe toute l’Asie centrale. C’est un retour aux sources.
Parce que l’Asie centrale, ce sont des turcophones. Et vous, dans votre livre, vous le dites, il veut se reconnecter avec les racines asiatiques ?
Avec ses propres racines. En fait, si Atatürk personnifiait la volonté de recentrer ce que fut naguère l’Empire ottoman autour de la « turquitude », lui Erdogan, qui a régné, et le mot règne n’est même pas incongru, plus longtemps qu’Atatürk, essaie de renouer avec le passé. La grandeur de l’Empire ottoman, la grandeur du rôle de la Turquie en tant que source dominante de la pensée sunnite, puisque rappelons que pendant 1000 ans La Mecque et Médine étaient en territoire turc ottoman. Et aujourd’hui, avec le pantouranisme, cette démarche vers l’Orient, à travers le Caucase, vers l’Asie centrale.
Au détriment des Kurdes et des Arméniens ?
Au détriment de tout le monde. Vous savez le néo-ottomanisme, c’est quoi pour Erdogan ? Néo-ottomanisme, ce sont des forages illicites en Méditerranée orientale, des heurts au quotidien avec l’aviation grecque, c’est la remise en question du traité de Lausanne, et le fait d’éjecter le traité de Sèvres de base de l’histoire, et le bombardement des Kurdes au nord de la Syrie, au nord de l’Irak. Le néo-ottomanisme c’est ça. Le pantouranisme va au-delà de ça, et va d’avantage à l’est, vers l’Asie centrale et le Caucase. Mais il y a aussi le califat, pourquoi le nouveau califat en Turquie ?
Justement, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le califat, parce que personne ne sait ce que c’est ?
Alors il faut savoir que le sultan ottoman était chef laïc et chef religieux, il était sultan de l’Empire ottoman, comprenant les Bulgares, les Arméniens, les Kurdes de Turquie. Mais il était aussi le calife du monde musulman, parce qu’il y avait justement La Mecque et Médine qui étaient sur le territoire ottoman.
Donc aujourd’hui, il veut redevenir le sultan ottoman tel qu’Abdülhamid existait, et également le chef de la communauté sunnite mondiale. On le voit en conflit avec les Saoudiens, à propos de l’affaire Khashoggi, vous l’avez remarqué : tous les jours, il distille des informations pour maintenir la crise dans l’esprit des Saoudiens. Ce qu’il a fait en Libye aujourd’hui, a démontré qu’il y avait deux thèses qui s’affrontaient : la thèse des Frères musulmans qu’il incarne, par rapport à la thèse de l’islam, venant des pays arabes du golfe Persique.
Seulement, aujourd’hui, Recep Tayyip Erdogan doit faire face à une crise économique historique…
Crise économique majeure qui est la conséquence de l’instabilité qu’il incarne, avec 80% d’inflation.
Aujourd’hui, Recep Tayyip Erdogan, président de la Turquie, 2023 : les 100 ans de la République turque. Comment peut-il s’incarner, comme le nouvel Atatürk, pour continuer à tenir au pouvoir ?
Alors il veut effacer Atatürk de l’histoire, il veut effacer la présence d’Atatürk dans la création de l’état turc moderne, et faire en sorte que la Turquie s’identifie davantage à sa personne, qu’à Mustafa Kemal.
Ça va être difficile…
Ça va être difficile, mais il essaye, regardez, il a pris prétexte du coup d’état dont il a fait l’objet, pour castrer l’armée, pour décapiter l’armée, pour décupler la haute fonction publique, la magistrature et pour le modeler à sa façon.
Aujourd’hui, la Turquie moderne n’a rien à voir avec la Turquie conçue et créée par Atatürk. La laïcité n’est plus au centre des débats. Sa femme porte le foulard, On n’est pas dans la pensée d’Atatürk, on est dans la pensée d’une certaine « turquitude », mais fondée cette fois-ci, sur la gloire de ce qui fut naguère l’Empire ottoman, sur le fait religieux, et sur un retour aux racines, d’où l’expression pantouranisme.
Interview à retrouver sur France Info.