La dynamique diplomatique dans laquelle l’Iran s’est engagé va t-elle s’intensifier ? La semaine dernière, diplomates iraniens et européens du groupe E3 (Allemagne, Grande-Bretagne et France) se seraient rencontrés en Norvège pour discuter d’une éventuelle reprise des négociations sur le Joint Comprehensive Plan of Action. Si cet échange ne semble avoir été qu’une première prise de contacts en l’absence de Robert Malley, envoyé spécial pour l’Iran des Etats-Unis, et d’Enrique Mora, chef de la diplomatie européenne, il témoigne néanmoins d’une véritable réorientation de la politique étrangère de l’Iran, décidé à montrer ses « muscles diplomatiques » pour rompre son isolement international.
L’administration Raïssi a en effet plusieurs objectifs, en premier lieu développer, à l’instar de la Turquie, une politique de « zéro problème avec les voisins ». Cette dynamique est nouvelle mais essentielle pour l’avenir de l’Iran, confronté à une multiplicité de crises. Elle s’est traduite de manière spectaculaire par sa réconciliation formelle, le 10 mars dernier, avec l’Arabie Saoudite, après sept ans de rupture. D’ici deux mois, les deux pays ont promis de rouvrir leurs ambassades respectives. Dans le but de renforcer leur coopération bilatérale, le roi Salmane aurait également invité Ebrahim Raïssi en Arabie Saoudite, ce qui constituerait la première visite d’État d’un président iranien dans le royaume wahhabite depuis 1979.
Par ailleurs, l’Iran travaille activement à une réconciliation avec d’autres voisins du Golfe Persique, notamment avec le Bahreïn, qui avait rompu ses relations avec Téhéran en 2016 par solidarité avec Riyad. L’Irak, avec lequel un accord sécuritaire doit être prochainement signé, et les Emirats Arabes Unis, ont également reçu des délégations iraniennes ces derniers mois, tandis que des discussions avec l’Egypte seraient en projet.
En parallèle de cette ouverture au Moyen-Orient, des négociations, certes plus discrètes, sont également menées avec les Etats-Unis. Des signes d’échange potentiel de prisonniers entre Téhéran et Washington seraient en effet manifestes, principalement autour du cas de Siamak Namazi, ressortissant irano-américain, emprisonné depuis 2015 à Téhéran pour de fausses accusations d’atteinte à la sécurité nationale. Son père, qui fut également détenu et interdit de voyager durant six ans, avait été libéré par l’Iran en octobre dernier pour raisons médicales, et ce grâce à l’active médiation du Qatar, d’Oman et des Emirats. D’après les médias iraniens proches du régime, cette libération se serait accompagnée d’un dégel des avoirs iraniens bloqués dans des banques sud-coréennes en raison des sanctions américaines, ce que les Etats-Unis ont néanmoins catégoriquement démenti.
Ce dossier semble néanmoins à l’étude, comme l’atteste la réactivation du canal diplomatique entre les quatre pays voisins du Golfe Persique, car cette négociation est capitale pour l’administration Raïssi. Le dégel des avoirs iraniens est en effet considéré comme un préalable incontournable à l’élaboration d’une feuille de route pour rétablir l’accord sur le nucléaire, obtenir une levée des sanctions et redresser l’économie iranienne.
Ainsi, après plusieurs mois de stagnation, des engagements constructifs entre l’Iran et l’AIEA ont déjà été actés. Après la visite à Téhéran de Rafael Grossi le 4 mars dernier, l’Iran a accepté derétablir les activités de surveillance de l’AIEA sur ses infrastructures nucléaires, interrompues depuis juillet 2022. Téhéran a également accepté une hausse de 50 % du nombre d’inspections de l’agence atomique sur son site d’enrichissement nucléaire de Fordow, des promesses qui ont été jugées très concrètes par l’agence atomique et qui seront prochainement détaillées. L’enquête sur les stocks d’uranium découverts sur trois sites non déclarés, point de blocage majeur dans les négociations sur le JCPoA, pourrait également trouver une issue positive, puisque Mohammed Eslami, le chef de l’organisation atomique iranienne, a annoncé l’élaboration d’une nouvelle feuille de route pour mener et conclure l’enquête, répondant ainsi à une exigence de longue date de l’AIEA.
Pour l’Iran, cette séquence d’activisme diplomatique, dans un contexte domestique critique, est une stratégie qui peut s’avérer payante à plus d’un titre. Considéré comme un fauteur de troubles au Moyen-Orient depuis au moins deux décennies, Téhéran a désormais pour objectif de se positionner en allié rassurant, ou du moins avec des ambitions militaires amoindries. Son bellicisme et son réseau de proxies ont en effet largement contribué à rapprocher ses voisins du Golfe Persique d’Israël et ce faisant, de rompre les réseaux économiques susceptibles de lui permettre de contourner les sanctions américaines. L’Iran a compris que l’hostilité ne lui permettrait pas de recréer un environnement économique favorable pour assurer un niveau de vie décent aux Iraniens, ce qui demeure l’objectif ultime de la République islamique pour apaiser les tensions domestiques – un objectif d’ailleurs réaffirmé récemment par le Guide Suprême, qui a en revanche écarté tout projet de réformes politiques.
Tous les efforts diplomatiques de l’Iran envers ses voisins, envers l’AIEA, et les échanges de prisonniers en cours de négociations avec les Etats-Unis, semblent donc véritablement indiquer un progrès possible pour le dossier nucléaire. Reste à savoir si l’administration Biden, extrêmement échaudée par la violente répression déployée par le régime iranien pour éteindre les manifestations cet automne, et particulièrement inquiète face au partenariat militaire entre l’Iran et la Russie en Ukraine, souhaitera s’engager à nouveau politiquement dans des négociations avec Téhéran.
Mais d’un strict point de vue régional voire sécuritaire, l’Iran a tout intérêt à parier sur des relations apaisées et renforcées avec ses voisins musulmans pour créer un barrage contre les visées israéliennes. Si la dynamique diplomatique actuelle suit son cours sans heurts, les équilibres politiques du Moyen-Orient en seront considérablement modifiés. Et dans un ironique retournement de situation, l’Iran pourrait enfin sortir de l’ostracisme pour reprendre sa juste place dans le concert des nations, tandis que l’État hébreu subirait, à son tour, un isolement qu’il a largement contribué à susciter à son égard.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 26/03/2023.