En annonçant leur réconciliation à la surprise générale le 10 mars dernier, l’Iran et l’Arabie Saoudite ont ouvert un large champ de possibilités diplomatiques, mais également économiques.
Certes, le premier objectif de l’accord irano-saoudien, partagé par les deux pays, vise à sécuriser le Moyen-Orient, dont la stabilité est menacée par une course à l’armement et la constitution d’alliances sécuritaires visant essentiellement à contrer la puissance iranienne. Cette désescalade est souhaitée de longue date par l’Arabie Saoudite, qui a besoin de diversifier son économie et d’attirer les investisseurs étrangers pour répondre aux ambitions de son plan Vision 2030. Dans l’espoir de créer un climat économique propice au développement, elle a très tôt choisi la solution du dialogue avec Téhéran pour tenter de parvenir à cette éventualité, aujourd’hui tangible.
Car dans un souci d’apaisement régional global, l’Iran poursuit également son ouverture diplomatique avec les Emirats Arabes Unis et le Bahreïn, deux pays du Golfe Persique qui avaient rompu leurs relations bilatérales avec Téhéran en 2016 par solidarité avec leur alliée saoudienne. De tels progrès diplomatiques peuvent donc apaiser la région, en réorientant davantage les efforts budgétaires sur les partenariats économiques au détriment des enjeux sécuritaires.
Pour l’Iran, qui a fait du redressement de son économie sa première priorité, le potentiel de cette normalisation globale est déterminant. Le pays manifeste un besoin urgent d’investissements étrangers, et à cet égard, les déclarations du ministre des finances saoudien le 15 mars dernier étaient prometteuses. Sous réserve que les termes de l’accord irano-saoudien soient respectés, l’Arabie Saoudite pourrait rendre concrète l’estimation établie en 2021 par le Prince hériter Mohammed Ben Salmane, selon laquelle une normalisation des relations avec Riyad se traduiraitpar près de 20 milliards de dollars d’investissements saoudiens en Iran. La volonté politique d’aller dans ce sens semble donc réellement exister, mais se heurte au problème des sanctions américaines sur les transactions bancaires avec l’Iran, qui demeurent un obstacle majeur et dont les grandes entreprises saoudiennes, comme le monde des affaires des pays membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), s’inquiètent déjà publiquement.
Quelques solutions existent cependant et demanderont une stratégie claire de la part des Etats. En effet, certains secteurs épargnés par les sanctions américaines, comme l’agro-alimentaire ou l’industrie pharmaceutique, pourraient être les premiers à bénéficier d’investissements extérieurs, en l’attente de mise en place de solutions de sécurisation bancaires innovantes pour intégrer d’autres secteurs industriels. Riyad pourrait également user de son influence à Washington pour obtenir des dérogations, notamment sur les projets relatifs aux défis climatiques et à la gestion de l’eau, sujets essentiels et globaux qui concernent aussi bien l’avenir de l’Iran que celui du Moyen-Orient dans son ensemble.
Le souci de diversification économique qui occupe l’Iran comme l’Arabie Saoudite pourra permettre d’orienter les investissements vers d’autres secteurs, notamment le secteur minier, afin de répondre aux évolutions géopolitiques et à la nécessité de ne s’appuyer que sur les seules énergies fossiles traditionnelles, le pétrole et le gaz.
Ce sont enfin des projets menés conjointement dans des pays tiers qui pourront aussi créer un environnement économique favorable aux deux pays. Dans le secteur énergétique, l’éventuelle finalisation du projet tripartite entre l’Arabie Saoudite, l’Iran et le Koweït autour de l’exploitation du gisement de gaz naturel offshore de Dorra/Arash, serait ainsi un exemple de collaboration réussie.
L’Irak pourrait également être une plaque tournante d’interconnexions multiples entre l’Iran et l’Arabie Saoudite en matière de réseaux électriques et surtout d’infrastructures ferroviaires. La mise en œuvre du projet de « d’autoroute internationale » proposé par l’Irak en 2021, qui relierait Machhad à La Mecque via Kerbala, connecterait non seulement les principaux centres spirituels des trois pays – avec les conséquences économiques que cela impliquerait pour le tourisme religieux – mais permettrait aussi de renforcer les liens entre les trois pays et de créer un vaste ensemble socio-culturel.
Après des années de tensions régionales, la reprise de ses relations avec l’Arabie Saoudite offre donc à l’Iran la possibilité de renouer avec sa stratégie régionale qui prévalait avant 1979, basée sur l’interconnexion énergétique et commerciale avec ses voisins immédiats. En créant un climat sécuritaire et économique favorable, ces perspectives sont d’autant plus positives pour l’Iran qu’elles peuvent oeuvrer à une normalisation de ses relations avec d’autres puissances arabes, à commencer par l’Egypte, lui ouvrant ainsi de nouveaux marchés. Pour autant, l’accord irano-saoudien ne compensera pas à lui seul l’absence d’accord nucléaire, seul à même de lever les sanctions économiques américaines et de libérer ainsi totalement l’économie iranienne, ce que même les diplomates iraniens et étrangers confirment. Une reprise des négociations est donc urgente, et leur issue positive parachèverait les efforts diplomatiques entrepris par l’Iran pour sortir enfin de la marginalité.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 02/04/2023.