Chaque semaine apporte son lot d’évènements qui ajoutent à la tension grandissante au Moyen-Orient. Ainsi jeudi 13 juin, deux tankers norvégiens et japonais ont subi des tirs et des explosions en mer d’Oman. Le 12 mai dernier, quatre navires – deux saoudiens, un émirati et un norvégien, dont trois pétroliers – avaient déjà été endommagés au large de Foujeyrah par des actes de sabotage, dont l’Arabie Saoudite avait évidemment rendu l’Iran responsable.
Quels sont les faits ? Jeudi vers 6h du matin (heure locale), la 5ème flotte américaine, basée au Bahreïn, a reçu deux appels de détresse émanant des pétroliers. Le premier, norvégien, aurait subi trois explosions à son bord, qui n’ont fait aucun blessé. Pour les autorités maritimes norvégiennes, il s’agirait bien d’attaques extérieures, et non d’un accident. Le second navire, japonais, le Kokuka-Courageous, a pour sa part été la cible de tirs. L’équipage s’en est également sorti indemne après l’abandon du tanker, et la cargaison était intacte.
A ce jour, l’origine de ces attaques reste indéterminée. Mais les Etats-Unis, basés dans le Golfe Persique et récepteurs des appels de détresse, ont rapidement envoyé des avions de reconnaissance sur place… et semblent s’être déjà fait une idée des responsables. Une vidéo réalisée par l’armée américaine montrerait ainsi une patrouille des Gardiens de la Révolution, le corps d’élite de l’armée iranienne, retirant des mines-ventouses placées sur les coques des pétroliers, qui n’auraient pas explosé. Mike Pompeo s’est donc naturellement empressé d’accuser l’Iran d’avoir fomenté ces attaques, ce que Téhéran a évidemment nié. Les Iraniens, qui ont par ailleurs porté secours aux tankers attaqués, se montrent pour leur part, légitimement inquiets face à ces « incidents suspects ».
Car au-delà du jeu de rôle entretenu par les Etats-Unis, la véritable question est la suivante : qui peut trouver un intérêt à ces attaques ? C’est précisément le sens de l’intervention du secrétaire général de la Ligue arabe, l’Egyptien Ahmed Aboul Gheit, qui a dénoncé « certaines parties de la région qui essayent d’attiser le feu » et appelé à une prise de conscience de cette réalité. Si le secrétaire général n’a nommé personne, on peut néanmoins suspecter certaines « parties » sans grand risque de se tromper.
Ainsi, on peut douter fortement de la responsabilité du gouvernement iranien, qui ne serait pas assez malhabile pour donner un prétexte en or aux Américains et aux Israéliens d’attaquer l’Iran. Ce serait d’autant plus préjudiciable que les négociations pour sauver ce qui reste de l’accord de Vienne sont actuellement – bien qu’officieusement – en cours avec d’autres alliés traditionnels de Téhéran. Continuer à tenir une position de défense, de « patience maximale » face à la pression américaine serait plus profitable aux Iraniens, même si cette position demandera des efforts à la population à long terme.
En revanche, si les Iraniens dans leur ensemble ne souhaitent évidemment pas la guerre, il est une faction qui ne l’entend pas ainsi et qui cherche activement non seulement à court-circuiter la reprise des négociations, mais aussi à déclencher un conflit avec les Etats-Unis. Jeudi précisément, le Premier ministre japonais Shinzo Abe était en visite officielle à Téhéran pour rencontrer le Guide Suprême Ali Khamenei. Est-ce un hasard si le tanker japonais a été attaqué ce même jour ?
Les conservateurs les plus réactionnaires, ainsi qu’une partie des Gardiens de la Révolution, soucieux de préserver leur influence au sein de la République islamique, trouveraient un avantage certain et commun à mettre le Moyen-Orient à feu et à sang par l’intermédiaire de groupes divers – Hezbollah au Liban, Hachd-al-Chaabi en Irak, Houthis au Yémen. Quoi de mieux en effet que la menace du chaos, voire le chaos lui-même, pour maintenir son pouvoir ?
Autres commanditaires possibles de ces attaques : les pays arabes du Golfe Persique, Saoudiens et Emiratis en tête, qui par l’intermédiaire de mercenaires, multiplieraient à dessein les incidents autour du détroit d’Ormuz afin d’en faire accuser l’Iran et déclencher une intervention militaire américaine. On constate en effet que les attaques se multiplient particulièrement sur mer et frappent les pétroliers étrangers qui circulent autour du détroit, ce qui, encore un fois, n’est pas un hasard, puisque c’est par cette porte à l’intérêt hautement stratégique que transite près de 20% du pétrole mondial, et que celle-ci est contrôlée par l’Iran.
Le fait est que la position de Donald Trump vis-à-vis de l’Iran est pour le moins fluctuante. S’il se dit un jour prêt à partir sur le sentier de la guerre et à rayer l’Iran de la surface du globe, le lendemain le président américain se dit ouvert à la reprise du dialogue avec la République islamique. Face à un discours aussi instable, ceux qui dans la région ont intérêt à voir l’Iran chuter préfèrent sans doute jouer les deus ex machinaet aider Donald Trump à faire son choix…
L’Histoire est remplie d’exemples de cette nature, attentats commandités qui ont permis d’allumer des guerres, intox et autres fausses rumeurs. A l’heure où les fake-newset la désinformation ont été érigées au rang d’art, la stratégie pourrait amplement faire recette une fois encore. Rappelons aussi le précédent de la guerre en Irak de 2003, qui a confirmé que les Etats-Unis étaient passés maîtres dans l’art de la falsification de preuves.
Il est donc d’autant plus urgent de maîtriser la propagande et la rhétorique martiale dans les deux camps, tant iranien qu’américain, si l’on souhaite préserver le peu d’équilibre restant encore au Moyen-Orient. Et surtout, d’identifier clairement ceux qui auraient le plus intérêt à voir la région à feu et à sang s’ils peuvent en sortir rois des cendres.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 19/06/2019.