Preuve de sa flexibilité diplomatique, l’Iran a initié depuis 2021 un processus de normalisation avec les grandes puissances du Moyen-Orient qui, pour la plupart avaient rompu leurs relations diplomatiques avec Téhéran, parfois depuis la fondation de la République islamique. Alors que le Guide suprême a érigé la réconciliation de l’Iran avec le monde arabe en nouvelle priorité diplomatique, Le Caire est directement visé par la diplomatie iranienne, après l’Arabie Saoudite et les pétromonarchies du Golfe Persique, et avec la traditionnelle médiation d’Oman. La visite du sultan Haïtham ben Tariq à Téhéran est intervenue en effet une semaine après sa visite au Caire, laissant peu de doutes sur ses échanges avec Ali Khamenei concernant la perspective d’une normalisation irano-égyptienne. Suite à cette visite, l’administration Raïssi a missionné le ministère des affaires étrangères iranien en vue d’une restauration totale des relations diplomatiques avec Le Caire.
L’évènement constituerait une seconde victoire diplomatique de grande importance pour l’Iran, après la réussite de son rapprochement avec l’Arabie Saoudite. Sa relation avec l’Egypte n’a en effet jamais été marquée par une entente cordiale. Après 1945, la popularité de Gamal Abdel Nasser et du panarabisme à travers le Moyen-Orient, tout comme le positionnement de l’Egypte aux côtés de l’URSS dans les premières années de la Guerre froide, créa une première rupture avec l’Iran, alors engagé du côté occidental. Si l’arrivée d’Anouar el-Sadate au pouvoir en Egypte en 1970 apaisa un temps les tensions, l’année 1979 constitua un tournant crucial dans les relations bilatérales. A la suite de l’instauration de la République islamique en Iran, la décision du Caire d’accueillir le Shah Reza Pahlavi en exil, et surtout d’être le premier Etat arabe à normaliser ses relations avec Israël via les accords de Camp David, a entraîné une rupture durable avec Téhéran. Au cours des années 1980, le soutien militaire accordé par l’Iran au Hamas et au Jihad islamique à Gaza, renforçant la menace sécuritaire pesant sur l’Egypte, et le soutien du Caire accordé à Saddam Hussein dans la guerre Iran-Irak, a scellé quarante ans de froideur diplomatique entre les deux pays.
Le printemps du Caire en 2011 et l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir avec l’élection de Mohammed Morsi deux ans plus tard, auraient pu contribuer à rapprocher les deux puissances musulmanes, et l’Iran avait à cet égard salué les bouleversements politiques en Egypte. La profondeur des différents idéologiques et stratégiques entre les deux pays, notamment au regard de la guerre civile syrienne, firent échouer toute tentative de rapprochement durable. Allié indéfectible de Bachar el-Assad, tout comme Téhéran, Abdel Fattah Al-Sissi a facilité une timide reprise du dialogue, quoique progressive. A partir de 2021, l’Irak a servi de médiateur entre les deux pays, tout comme Oman.
Au-delà de la relation tumultueuse entre l’Iran et l’Egypte pour des raisons qui leur sont propres, l’extrême proximité entre l’Egypte et l’Arabie Saoudite a longtemps constitué un obstacle de taille à tout rapprochement avec la République islamique, pour les raisons idéologiques et politiques que l’on devine. Riyad aurait largement contribué à « saboter » toute tentative de rapprochement, en particulier après sa propre rupture avec l’Iran en 2016.
Face à la menace d’une extension continue des Accords d’Abraham et d’une normalisation globale entre Israël et le monde arabe, l’Iran a donc engagé depuis deux ans un processus diplomatique symétrique, pour l’heure jalonné de succès. Les pétromonarchies du Golfe Persique – le Koweit, les Emirats Arabes Unis, bientôt le Bahreïn – ont ainsi été les premières cibles de la diplomatie iranienne. Dès août 2022, le Koweit et les Emirats ont nommé de nouveaux ambassadeurs en Iran, pour la première fois en six ans.
Mais c’est l’accord de normalisation irano-saoudien, annoncé en mars dernier, qui a été un véritable « game-changer ». Il ouvre désormais la voie à l’Iran pour une normalisation durable avec les plus grandes puissances arabes du Moyen-Orient, au sein desquelles l’Egypte, en dépit de ses propres difficultés économiques, demeure incontournable en vertu de son rôle de pivot diplomatique et militaire dans la région.
Après 40 ans de relations brouillées, le processus de normalisation apparaît donc de plus en plus probable entre l’Egypte et l’Iran. Celui-ci pourrait être officialisé en septembre prochain, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies. D’ici là, les deux pays pourront affiner leur reprise de dialogue – Le Caire conserve en effet un prudent attentisme, conditionnant son rapprochement avec l’Iran à la durabilité de la reprise de ses relations avec l’Arabie Saoudite.
La réouverture officielle de l’ambassade d’Iran à Riyad le 6 juin dernier marque cependant un tournant majeur et positif dans les relations bilatérales entre la République islamique et le royaume wahhabite. Du temps sera encore nécessaire, pour des raisons protocolaires, avant que la réouverture de l’ambassade saoudienne n’intervienne à Téhéran. Dans l’attente, « l’effet-domino » de la réconciliation irano-saoudienne n’en est qu’à ses débuts. La confirmation d’une reprise des relations bilatérales entre l’Iran et l’Egypte constituera un atout majeur pour la consolidation plus vaste que l’Iran vise avec le monde arabe afin de traiter deux dossiers majeurs pour sa diplomatie. Outre la situation en Syrie, l’enlisement du processus de normalisation entre les Etats arabes et Israël demeure l’objectif essentiel de Téhéran. Avec Riyad et potentiellement Le Caire de nouveau à ses côtés, l’Iran semble déjà en voie de le concrétiser.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 11/06/2023.