Depuis le 15 juin, le Haut-Karabakh est de nouveau coupé du monde. Si le précédent blocus initié il y a sept mois par l’Azerbaïdjan autorisait a minima la circulation des forces de maintien de la paix russes et des véhicules humanitaires, la situation est désormais plus radicale. Ni l’aide médicale d’urgence, ni les biens de première nécessité alimentaires, ne pénètrent désormais dans l’enclave. Aux 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan impose une vie de citadelle assiégée, sans qu’aucune puissance extérieure, pas même la Russie, ne se soit interposée.
Ce blocus total intervient dans un contexte d’incidents frontaliers récurrents entre forces armées azéries et arméniennes, alors même que les deux pays sont à Washington pour tenter de négocier un traité de paix. Le nouveau poste-frontière imposé par l’Azerbaïdjan sur le corridor de Lachine, qui relie le Haut-Karabakh à l’Arménie et cristallise le rapport de force entre les deux pays, a ainsi été récemment le théâtre de plusieurs affrontements mortels. L’Azerbaïdjan est notamment accusé de tenter régulièrement des incursions militaires en territoire arménien, portant ainsi directement atteinte à sa souveraineté territoriale.
L’Azerbaïdjan semble avoir changé de méthode pour mettre fin au conflit qui l’oppose à l’Arménie sur la souveraineté du Haut-Karabakh. Alors que Bakou se plaignait des atermoiements de sa voisine dans le cadre des négociations, exprimant régulièrement son souhait d’obtenir rapidement un accord officiel sous peine d’action militaire, Ilham Aliyev ne manifeste plus la même urgence. Sa rhétorique met aujourd’hui en avant une terrible évidence : en position de force dans les négociations, en position de force en termes d’occupation territoriale, l’Azerbaïdjan a tout le loisir de faire de la vie des Arméniens un enfer. Deux évènements majeurs ont favorisé ce retournement stratégique de la part de Bakou.
La réélection du président Erdogan a en premier lieu assuré à l’Azerbaïdjan de conserver son principal parrain dans le conflit pour les cinq prochaines années, tant d’un point de vue diplomatique que militaire. Par ailleurs, l’installation d’un check-point sur le corridor de Lachine, par le simple fait qu’elle n’ait rencontré aucune résistance de la part de la communauté internationale, réaffirme la prédominance des Azéris sur ce territoire. La maîtrise du corridor de Lachine assure en effet à l’Azerbaïdjan le contrôle total du quotidien de l’enclave du Haut-Karabakh, lui offrant un moyen de pression d’une redoutable efficacité. Si l’accord de paix avec l’Arménie demeure une priorité, la véritable urgence est désormais de l’obtenir selon les conditions de l’Azerbaïdjan.
Le dernier incident frontalier en date et la nouvelle imposition du blocus signifient clairement que Bakou, lassé du peu de l’inefficacité des négociations, est désormais déterminé à obtenir des concessions de l’Arménie par la force. Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian s’est pourtant dit prêt à reconnaître la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh. Mais le sort des Arméniens de l’enclave en cas de passage sous la tutelle azérie demeure un point de rupture entre les négociateurs occidentaux et arméniens et Bakou, qui rejette leur demande au prétexte qu’il s’agit d’une « affaire domestique ». Aucune mesure en effet n’a été obtenue sur le sort des habitants, qui craignent à raison un « nettoyage ethnique », ou l’exil forcé. La multiplication des incidents frontaliers en pleine séquence diplomatique est également un moyen pour l’Azerbaïdjan de justifier le désarmement des forces armées de l’Artsakh, déjà accusées en décembre dernier d’obtenir illégalement des armes de l’Arménie. Preuve d’un manque de cohésion côté arménien, et de l’efficacité de l’instrumentalisation de la peur par l’Azerbaïdjan, le Parlement du Haut-Karabakh a demandé la suspension des négociations afin d’obtenir un cessez-le-feu, quand Erevan souhaite maintenir malgré tout la voie diplomatique ouverte.
Alors que l’enclave vit de nouveau dans l’isolement le plus total depuis quinze jours, l’absence de réaction efficace des puissances extérieures impliquées dans le dossier pose question. Une fois de plus, l’Arménie n’a pu que constater amèrement le manque de solidarité de son alliée russe, dont les forces de maintien de la paix subissent sans réaction les manœuvres de l’Azerbaïdjan. Bien qu’ils aient symétriquement ouvert leur propre canal diplomatique avec les deux belligérants, Russes comme Occidentaux ont totalement failli à faire avancer le dossier. Mais si tous s’accordent pour condamner l’illégalité du blocus, aucun ne propose d’action concrète allant au-delà des injonctions à le faire cesser.
L’Azerbaïdjan a donc toute latitude pour faire avancer le dossier à sa façon et en sa faveur. Dans le pire des cas, le maintien de l’actuel statu-quo serait parfaitement acceptable pour Bakou, qui obtient par la force ce que la diplomatie ne lui a jamais accordé en trente ans. Le changement rhétorique d’Ilham Aliyev pourrait par ailleurs indiquer qu’en cas d’usage de la force militaire, la Turquie sera de nouveau, et naturellement, de son côté pour appuyer l’opération. Les diplomates se donnent jusqu’à la fin de l’année 2023 pour tenter d’obtenir un accord entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. C’est largement assez pour permettre à Bakou d’acter définitivement sa mainmise sur le Haut-Karabakh. Le temps est en effet de son côté, non du côté arménien, et encore moins du côté des habitants de l’Artsakh, plus que jamais pris entre le marteau et l’enclume.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 02/07/2023.