Alors que la « stratégie du regard vers l’Est » commence à être remise en question en Iran, le rapprochement diplomatique que le régime a également entamé avec l’Occident entre dans une séquence de rapport de force qui s’annonce difficile. Menacée dans sa stabilité depuis les manifestations qui ont violemment secoué le pays à l’automne 2022, la République islamique se sait acculée face à une jeunesse qui représente les deux tiers de la population iranienne et souhaite bâtir un autre avenir pour l’Iran, loin des sanctions internationales et des privations de libertés individuelles. L’activisme diplomatique des autorités iraniennes s’inscrit dans cette volonté de sortir l’Iran de l’ostracisme économique et politique, afin de redynamiser l’économie iranienne et de redonner des perspectives d’avenir à des forces vives qui ne songent pour l’heure qu’à l’exil.
Alors que la Chine et la Russie, ses alliées asiatiques, donnent de nombreux signes d’ambivalence stratégique en dépit des multiples partenariats qui les lient à l’Iran, l’obligation de diversifier ses relations devrait logiquement ouvrir la voie à la mise au point d’un nouvel accord avec l’Occident. Le Joint Comprehensive Plan of Action, toujours officiellement en vigueur, prévoit une première porte de sortie puisqu’il stipule qu’en octobre prochain, plusieurs sanctions occidentales contre l’Iran liées aux programmes nucléaires et balistiques auront expiré. Le traité et la résolution onusienne 2231 précisent par ailleurs que les Nations Unies devront également lever l’interdiction d’importation et d’exportation par l’Iran de technologies liées aux missiles balistiques, ainsi que les drones d’une portée de 300 km ou plus.
Des informations récentes laisseraient néanmoins entendre que les Européens auraient l’intention demaintenir l’ensemble de ces sanctions en raison du partenariat militaire de l’Iran avec la Russie, et de son implication dans le conflit ukrainien aux côtés de Moscou. En réponse, les médias ultra conservateurs iraniens ont menacé l’Europe d’une accélération du programme nucléaire iranien et d’une levée de la distance maximum que l’Iran impose pour l’heure à ses missiles balistiques, limités à une portée 2000 km. En clair, l’Europe serait potentiellement à portée des missiles iraniens. Au-delà d’une rhétorique vindicative de circonstance, comment comprendre cette menace ?
Certes, l’arsenal iranien est de haute technicité, et l’efficacité de l’ensemble de ses missiles balistiques n’est plus à démontrer, tant au Yémen qu’en Arabie Saoudite. En outre, l’Iran en rompant avec ses engagements du traité de Vienne après le retrait unilatéral des Etats-Unis en 2018, a attendu un an avant de poursuivre son programme nucléaire. En augmentant progressivement son enrichissement d’uranium de 3,67 % à 60 %, il est parvenu en trois ans à devenir un « Etat du seuil », statut qui semble logiquement irréversible et que les Occidentaux, comme les voisins immédiats de l’Iran, doivent désormais prendre en considération dans les négociations. Pour autant, il paraît peu vraisemblable que l’Iran s’engage dans un conflit de grande ampleur avec des grandes puissances occidentales, qui de surcroit ne serait pas soutenu par la population iranienne et pourrait générer plus de risques que de bénéfices pour le régime iranien.
Le véritable enjeu est donc plutôt diplomatique. Alors que le retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne avait constitué un premier affront de taille pour l’Iran, Téhéran s’était alors progressivement autorisé à prendre des « mesures compensatoires », avec principalement la relance de son programme nucléaire, dans une volonté d’établir un rapport de force avec les Occidentaux et de les inciter à rouvrir les négociations. Alors que celles-ci étaient sur le point d’aboutir, la violente répression du régime envers les manifestations de l’automne 2022 en Iran a mis un nouveau coup d’arrêt au processus. La reprise d’échanges officieux, bien que démentis par Téhéran et Washington, laissait espérer la conclusion d’un accord informel, conçu pour contourner l’épreuve de l’examen du traité par le Congrès américain, très divisé sur le sujet.
L’Iran serait en effet prêt à un ralentissement de son programme nucléaire sous réserve d’obtenir la levée des principales sanctions économiques et le dégel d’actifs bloqués à l’étranger, qui représentent plusieurs milliards de dollars et lui sont nécessaires pour soulager une économie exsangue. Preuve de sa bonne volonté, Téhéran a rétabli sa coopération avec l’AIEA sur ses sites sensibles, ce qui semblait être le principal obstacle à une reprise du JCPoA.
Dans un tel contexte, les rumeurs concernant un maintien des sanctions visent certainement à tenter d’éloigner l’Iran de la Russie, alors même que les contentieux envers cette ambivalente alliée se multiplient et qu’à Téhéran même, la pertinence et les gains d’un tel partenariat commencent à être questionnés. Cette stratégie méconnaît cependant les intentions de l’Iran, désormais attaché à diversifier ses relations, qui ne l’amèneront pas nécessairement à rompre avec la Russie pour prix d’un rapprochement avec l’Occident. Si les Occidentaux refusent donc de lever les sanctions stipulées dans l’accord de Vienne – alors même que leur statut de membre signataire du traité les y oblige – le risque est de nourrir l’argumentaire des ultra-conservateurs iraniens, qui y verront clairement une absence totale de volonté d’éviter la mort définitive du JCPoA et de proposer un texte alternatif ou transitoire. L’Iran se sentant exonéré de tous ses engagements n’en poursuivra que davantage ses programmes militaires, ce qui compromettrait ses efforts diplomatiques entrepris par ailleurs avec ses voisins du Moyen-Orient. Une telle décision de la part des Occidentaux pourrait donc entraîner un regain d’instabilité dans la région. Ont-ils les moyens de l’assumer ?
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans L’Atlantico du 23/07/2023.