Sur la scène extérieure, Imran Khan connaîtra-t-il la même déception que Benazir Bhutto, qui n’avait aucune prise sur la diplomatie et sur les décisions de l’armée ?
Le premier enjeu concerne évidemment les relations avec l’Inde. Dès l’annonce de son élection, le nouveau Premier ministre a promis de les normaliser, après soixante-dix ans de tensions et quatre guerres : « Je veux vraiment réparer nos liens qui ont été abîmés. Si l’Inde fait un pas vers nous, nous en ferons deux. » Oui, mais… si Narendra Modi a félicité en personne son nouvel homologue pakistanais, l’Inde voudra-t-elle vraiment faire le premier pas ? Et l’armée pakistanaise laissera-t-elle faire son nouveau Premier ministre ? Certains observateurs n’ont pas manqué de souligner que, pour obtenir le soutien du Pakistan dans ses négociations avec les talibans en Afghanistan, le secrétaire américain Mike Pompeo a choisi d’appeler directement, non pas Imran Khan ou même son ministre des Affaires étrangères, mais le général Qamar Javed Bajwa, général en chef de l’armée pakistanaise, lequel a convaincu le président afghan Ashraf Ghani d’organiser le cessez-le-feu demandé par les États-Unis.
Imran Khan espère ainsi résoudre la crise du Cachemire par la voie des négociations et, enfin, guérir le Pakistan de sa peur de l’Inde. Mais de quelle marge de manœuvre disposera-t-il face à l’armée, qui a toujours considéré l’Inde comme une menace existentielle ? Tous les gouvernements civils qui ont tenté un rapprochement avec l’Inde ont suscité la colère des militaires, qui auraient perdu là leur principale raison d’être… C’est ainsi que l’échec de la guerre de Kargil, en 1999, a motivé le coup d’État de Musharraf contre Nawaz Sharif. En outre, depuis 2000, toutes les négociations entre les deux pays, lorsqu’elles apportent des avancées, s’achèvent dans le sang suite à des attentats perpétrés sur le sol indien et la plupart du temps commandités, selon les observateurs, par l’ISI. Le plus meurtrier ensanglanta Mumbai le 26 novembre 2008, lorsque des terroristes firent cent quatre-vingt-huit morts et trois cent vingt-deux blessés en tirant sur la foule à divers endroits de la capitale économique de l’Inde.
Le 14 février 2019, le Cachemire a connu l’attentat-suicide le plus meurtrier depuis 2002. Revendiquée par le groupe terroriste Jaish-e-Mohammed, une organisation officiellement interdite par le Pakistan mais qui milite active ment pour le rattachement de la région au pays depuis 1999, l’attaque a tué près de quarante paramilitaires indiens sur la route de Jammu à Srinagar. L’Inde, en pleine campagne électorale, a réagi violemment en opérant douze jours plus tard des frappes aériennes sur le plus grand camp d’entraînement du groupe terroriste, basé dans la province de Khyber-Pakhtunkhwa. New Delhi accuse Islamabad de protéger ces groupes et de nourrir le terrorisme cachemiri, accusation que le Pakistan rejette en bloc.
En attendant une quelconque sortie de crise, le Cachemire reste l’une des régions les plus militarisées au monde, avec près de six cent mille soldats sur place, des arrestations de « séparatistes » en constante augmentation depuis 2015 et un usage de la torture attesté par le Comité international de la Croix-Rouge, dont les conclusions ont été rendues publiques en 2010 grâce à Wikileaks.
Enfin, le manque de confiance est tel entre l’Inde et le Pakistan que ce dernier va jusqu’à refuser les propositions d’aide de son voisin en cas de catastrophe naturelle et humanitaire. Ainsi, après les terribles inondations de l’été 2010, le Pakistan n’a accepté que sous pression des Américains l’aide indienne de 5 millions de dollars, portée à 25 millions, à la condition que celle-ci s’inscrive dans le cadre du fonds d’assistance de l’Onu. La défiance fut évidemment encore plus manifeste lors du tremblement de terre au Cachemire en 2005, où le Pakistan refusa catégoriquement toute intervention de l’Inde, comme l’envoi d’hélicoptères dans les zones sinistrées.
La discorde autour du Cachemire peut-elle seulement trouver une issue satisfaisante, lorsque Zulfi kar Ali Bhutto lui-même écrivait en 1969 : « Si une aire à majorité musulmane peut rester une partie de l’Inde, alors c’est la raison d’être du Pakistan qui s’effondre. […] Le Pakistan est incomplet territorialement et idéologiquement sans le Jammu-et-Cachemire » ? La question semble d’autant plus difficile à résoudre que la province réclame désormais de n’appartenir ni à l’un ni à l’autre, et d’être indépendante. Mais outre la dimension confessionnelle, la querelle autour du Cachemire concentre plusieurs problématiques stratégiques, telles que le positionnement face à l’extrémisme et la situation de l’Afghanistan, ainsi que le partage des ressources hydrauliques, capital pour le Pakistan.
L’Inde, très méfiante, se demande donc quels seront les réels pouvoirs d’Imran Khan pour relancer les négociations. Certains spécialistes soulignent néanmoins, parfois avec ironie, que la situation économique du Pakistan ne saurait être plus propice à une amélioration des relations avec l’Inde : « Moins d’argent dans les coffres de l’État pakistanais, c’est moins de fonds pour les organisations terroristes contrôlées par l’armée, chargées de perpétrer des attentats sur le sol ennemi », expliquait ainsi un spécialiste du terrorisme transfrontalier à la télévision indienne. La nouvelle administration Khan doit en eff et faire face à une crise de la balance des paiements qui menace la stabilité de la monnaie pakistanaise et la solvabilité du pays. Déjà en cours de négociations avec le FMI pour obtenir un prêt de 8 milliards d’euros, elle a cependant renoncé à en demander un second et préfère se tourner vers d’autres partenaires comme la Chine, les Émirats arabes unis… et l’Arabie Saoudite.
Extrait du live « Le Pakistan : De l’empire des Moghols à la République islamique » de Ardavan Amir-Aslani publié aux éditions de l’Archipel.
Paru dans l’Atlantico du 07/07/2019.