« Naya Pakistan », un nouveau Pakistan. C’était la promesse d’Imran Khan, son nouveau Premier ministre élu il y a un an. Elle seyait à cet homme atypique de la scène politique pakistanaise, né en 1953, ancien capitaine de l’équipe nationale de cricket – sport hérité de la colonisation britannique et toujours très populaire – et vainqueur en 1992 de la seule Coupe du monde remportée par le Pakistan dans ce sport. Par son élection, Imran Khan mettait fin à des décennies d’alternance politique entre deux familles hégémoniques, les Bhutto du Sind (avec Zulfikar Ali et sa fille Benazir) et les Sharif (avec Nawaz) du Pendjab. Il avait effectivement donné l’impression à des millions de Pakistanais qu’un sang nouveau allait enfin irriguer la vie politique de leur pays, rythmée jusqu’alors par l’alternance systématique entre pouvoir civil tenu par deux familles de haute caste, et pouvoir militaire.
Arrivé aux Etats-Unis samedi 20 juillet pour une visite de trois jours, Imran Khan a eu la lourde tâche de tenter de faire oublier l’image négative qui colle à la peau du Pakistan. « Nous avons un nouveau gouvernement, un nouveau mandat, une nouvelle façon de penser », déclarait à ses côtés son ministre des Affaires étrangères, Shah Mehmood Qureshi. Mais est-ce vraiment le cas ?
Curieux personnage qu’Imran Khan, surnommé « Taliban Khan » par les milieux libéraux pakistanais, en raison de ses prises de position bien plus radicales que celles qu’il affichait lorsqu’il était jet-setteur. Aussi complexe et ambigu, finalement, que la relation entre le Pakistan et les Etats-Unis depuis la création du « Pays des purs » en 1947.
Etat stratégiquement positionné en Asie centrale, entre l’Iran d’un côté et l’Inde de l’autre, le Pakistan a servi de relais aux Américains dans la lutte contre les Soviétiques, en particulier à partir de 1979 après leur invasion de l’Afghanistan. On sait à quel point les Américains jouèrent avec le feu lors de ce conflit, armant et entraînant les moudjahidines afghans et pakistanais contre les Russes, sans prendre garde au fanatisme religieux qui croissait dans leurs rangs. Ces soldats d’Allah allaient ensuite s’engager dans le projet d’Oussama Ben Laden avec Al-Qaïda… contre l’impérialisme américain.
Après le 11 septembre 2001, le Pakistan de Pervez Musharraf a été quasiment sommé par les Américains de s’engager à leurs côtés pour lutter contre Al-Qaïda, la créature qu’ils ont conjointement contribué à créer, sous peine de se voir « blacklisté » comme le Soudan d’Omar El-Béchir. Islamabad s’est plié à l’injonction, mais l’ambiguïté des militaires pakistanais envers certains mouvements islamistes, notamment dans le cadre d’actions contre l’Inde au Cachemire, a toujours attisé la méfiance des Etats-Unis. En mai 2011, la découverte de la cachette de Ben Laden par les forces spéciales américaines à Abbottabad, à une cinquantaine de kilomètres seulement de la capitale, laissa planer de sérieux doutes quant à l’implication de l’armée et des services secrets pakistanais pour le cacher. Le médecin qui aida la CIA à débusquer le terroriste est d’ailleurs toujours incarcéré au Pakistan.
D’une manière générale, la population pakistanaise regarde d’un mauvais œil l’ingérence américaine dans ses affaires intérieures. Imran Khan lui-même, à l’époque soutien de Musharraf, a pu par stratégie électoraliste lui reprocher l’implication du Pakistan dans la lutte contre le terrorisme, qui frappe pourtant régulièrement son territoire.
Mais la visite américaine d’Imran Khan, poussé par la nécessité, intervient dans un contexte particulièrement difficile pour son pays. Bien que le 3 juillet dernier, le FMI ait accordé au Pakistan une aide de 6 milliards de dollars, dont un versement immédiat de 991 millions d’euros, le pays traverse la crise monétaire la plus sévère de son histoire, avec une roupie pakistanaise qui a perdu 23% de sa valeur. En outre, cette visite s’est conclue hier par un entretien avec Donald Trump, qui n’avait pas eu de mots assez durs envers le Pakistan, accusé de ne pas « en faire assez » en matière de lutte contre le terrorisme, malgré la considérable aide au développement allouée par les Américains durant des années. Cette prise de position avait amené logiquement le président américain à geler les aides financières à destination du Pakistan – 1,3 milliards de dollars par an – en janvier 2018. Et la menace brandie par le Groupe d’action financière d’inscrire le Pakistan sur la liste noire des pays finançant le terrorisme en octobre prochain était de nouveau à l’ordre du jour.
La rencontre entre les deux hommes devait donc permettre à la relation américano-pakistanaise d’éviter des mesures qui pèseraient gravement sur l’économie pakistanaise et isolerait diplomatiquement le pays. Repartir sur de nouvelles bases, « retisser des liens entre les deux pays en vue d’apporter la paix, la stabilité et la prospérité dans une région qui vit depuis trop longtemps dans le conflit », selon la Maison-Blanche, est devenu une nécessité pour Imran Khan, que l’on accuse régulièrement d’être un fantoche entre les mains des militaires. Effectivement, ce dernier est venu accompagné de trois haut gradés – le lieutenant général Faiz Hameed, directeur général du renseignement militaire, le général Asif Ghafoor, porte-parole des forces armées, et le chef d’état-major, le général Qamar Javed Bajwa – une première pour un Premier ministre pakistanais en visite à l’étranger. Tous ont été reçus à la Maison-Blanche et au Pentagone pour évoquer des sujets de sécurité, mais aussi d’économie et de politique étrangère. Au Pakistan, et c’est ainsi depuis la création du pays, le véritable pouvoir décisionnaire reste l’armée. Que le général Bajwa ait été nommé au Conseil national de développement, chargé de définir les politiques publiques qui répondront aux immenses défis, démographiques, environnementaux et sécuritaires, du Pakistan, est à ce titre significatif.
Toutefois, cette omniprésence des militaires n’est pas pour déplaire aux Américains. Le Pakistan possède l’armée la plus puissante du monde musulman et détient la bombe atomique. Le pays est voisin de l’Afghanistan et Donald Trump souhaite qu’il serve de médiateur pour régler définitivement un conflit de 18 ans avec les talibans, ce qui lui permettrait d’engranger une victoire diplomatique dans la perspective de sa prochaine campagne électorale. En échange, le président américain a proposé son aide pour régler le conflit avec l’Inde autour du Cachemire – dont il ignorait qu’il durait depuis 70 ans… – avançant que Narendra Modi l’avait sollicité en ce sens… jusqu’à ce que le ministère des Affaires étrangères indien démente l’existence d’une telle conversation et rappelle que ce conflit était un enjeu strictement bilatéral.
En plus du règlement du conflit afghan, qui sait si, dans ce moment de tensions de plus en plus vives avec l’Iran voisin, les Etats-Unis ne chercheraient pas à moyen terme à faire du Pakistan une base arrière pour leurs forces armées… ou, peut-être, un intermédiaire pour entamer des négociations avec la République islamique. Comme par le passé, la relation entre le Pakistan et les Etats-Unis semble toujours se baser sur l’échange de bons procédés. « Pour que tout change, il faut que rien ne change ».
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 24/07/2019.