Le royaume entend capitaliser sur ses efforts de médiation entre États-Unis et Russie pour pousser son propre agenda sur des dossiers régionaux
Le 12 février dernier, au terme d’un long entretien téléphonique, Vladimir Poutine et Donald Trump, pour parvenir à la paix en Ukraine, ont convenu d’entamer immédiatement des négociations parrainées par l’Arabie saoudite. À ce titre, le secrétaire d’État américain Marco Rubio et son homologue russe Sergueï Lavrov se sont entretenus le 18 février à Riyad, où leurs chancelleries respectives ont annoncé qu’une rencontre entre leurs deux présidents se tiendrait prochainement.
Neutralité calculée
Fidèle à sa politique de neutralité tout au long du conflit, l’Arabie saoudite profite de ses relations privilégiées avec les États-Unis comme avec la Russie pour s’imposer en véritable puissance diplomatique, sans oublier de servir ses intérêts.
Dès le début du conflit, le royaume a fait le choix de ne pas condamner l’invasion russe et a refusé de suivre la politique d’isolement de la Russie menée par la précédente administration américaine, docilement suivie par les Européens.
Malgré les sanctions économiques, Riyad a maintenu des relations commerciales avec Moscou, notamment en achetant au rabais son pétrole pour sa consommation intérieure, réservant ainsi le sien à l’exportation, plus avantageux économiquement. Le royaume a continué de collaborer étroitement avec la Russie pour peser sur les cours du pétrole grâce à leurs capacités respectives.
Point d’orgue de cette coopération, la visite de Vladimir Poutine à Riyad le 6 décembre 2023 a marqué une rupture avec l’alignement total sur Washington. Cette rencontre, mise en scène tant par le Kremlin que par le royaume saoudien, symbolisait une volonté de rééquilibrage diplomatique.
Cependant, en prenant ses distances avec l’administration Biden, Mohammed ben Salmane, le prince héritier de l’Arabie saoudite, ne pouvait imaginer que deux ans plus tard seulement, le Trump à la tête de la Maison-Blanche viendrait récompenser son audace.
Le gouvernement de Riyad s’est en effet réjoui de la réélection de Donald Trump, avec qui il entretenait d’excellentes relations lors de son précédent mandat. Alors que les deux hommes affichaient une sympathie réciproque, les échanges commerciaux entre les deux pays avaient été très fructueux. Le royaume avait également tissé d’importants liens financiers avec le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, en investissant près de 2 milliards de dollars dans sa société Affinity Partners.
Conscient des attentes de la nouvelle administration, MBS s’est empressé de promettre d’investir près de 600 milliards de dollars dans l’économie américaine au cours de son nouveau mandat, une initiative dont Trump s’est félicité.
En quête de stabilité dans le Golfe
Dès lors, le royaume saoudien entend capitaliser sur ses efforts de médiation pour pousser son propre agenda sur d’autres dossiers régionaux.
Tout d’abord, il espère en contrepartie obtenir des États-Unis des garanties de sécurité renforcées ainsi que leur soutien dans le développement de son programme nucléaire civil, qui suppose un certain taux d’enrichissement d’uranium.
Ensuite, à l’approche du sommet arabe qui se tiendra le 4 mars prochain en Égypte, l’Arabie saoudite cherche à contenir les effets délétères dans le monde arabe des déclarations fracassantes du président américain sur l’expulsion des Palestiniens de Gaza pour y construire une “Riviera”.
Riyad, qui abrite les principaux lieux saints de l’islam et revendique son leadership sur le monde musulman sunnite, ne peut accepter le plan de Donald Trump pour Gaza sans risquer de déchaîner son opinion publique.
C’est dans cet esprit que le royaume a réuni, le vendredi 21 février, un sommet “informel” avec les pétromonarchies du golfe persique, la Jordanie et l’Égypte, afin d’examiner les alternatives crédibles au plan de Donald Trump.
Enfin, MBS a un besoin impératif de stabilité dans le golfe persique, tant pour sécuriser ses exportations d’hydrocarbures, notamment vers la Chine, que pour mener à bien son projet Vision 2030 de développement économique et touristique post-pétrole. Dès lors, le prince héritier redoute une escalade militaire entre Israël et l’Iran qui compromettrait ses ambitions. Plutôt que de plaider pour des frappes préventives contre des installations nucléaires iraniennes, Riyad semble préférer des négociations avec l’Iran.
Donald Trump, de son côté, a également besoin de l’Arabie saoudite pour deux raisons. D’une part, pour contenir l’activisme du Premier ministre israélien Netanyahu, éviter l’escalade avec l’Iran et trouver des partenaires participant à la reconstruction de Gaza. D’autre part, pour peser au sein de l’Opep et agir sur le cours du baril de pétrole. N’oublions pas qu’en janvier dernier, le 47e président des États-Unis avait ordonné à Riyad de moduler sa production pour freiner les recettes de la Russie et l’inciter à négocier la paix en Ukraine.
En définitive, dans un contexte international extrêmement volatil, MBS maîtrise les codes du réalisme politique, dépassionné de considérations morales, afin de servir au mieux les intérêts de son royaume.
Maelström moyen-oriental,
Ardavan Amir-Aslani et Sixtine Dupont sur Le nouvel Economiste le 27/02/2025
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