Il l’a dit et répété depuis ces derniers mois : « Je ne veux pas la guerre avec l’Iran ». Après la destruction d’un drone américain au-dessus du détroit d’Ormuz par des agents iraniens au printemps dernier, Donald Trump avait même largement communiqué sur l’annulation de la riposte américaine et mis en avant cette magnanimité de dernière minute, visant à empêcher la mort de 150 personnes. Pourtant, fin octobre, le président américain, certes déterminé à retirer les troupes américaines des « guerres sans fin » à travers le monde, mais aussi connu pour sa versatilité, aurait déclaré « devoir peut-être engager une nouvelle guerre contre l’Iran ».
Ce revirement ne serait pas totalement surprenant. A quelques mois de la prochaine campagne présidentielle, Donald Trump est sous le coup d’une procédure de destitution, une position plutôt inconfortable pour un président sortant. A la suite de sa décision de retirer les troupes américaines de Syrie, quitte à les mettre en danger sur le terrain et à trahir ses alliés kurdes livrés à l’offensive turque, il a fortement gagné en impopularité. La mort du chef de Daech Al-Bagdhadi ne lui a d’ailleurs redonné aucun prestige. Et en entamant le processus de sortie des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat en début de semaine, Donald Trump risque non seulement de s’aliéner de nombreuses grandes villes américaines, poussées d’entreprendre des initiatives autonomes pour respecter les termes de l’accord, mais aussi de voir un électorat jeune, qui désapprouve cette décision, choisir un autre vote que le sien en 2020.
Quoi de mieux, dès lors, qu’une bonne guerre pour détourner l’attention ? C’est peut-être un cliché, mais avec Donald Trump, le monde n’est plus à un cliché près. En explorant ses tweets entre 2011 et 2013, à l’époque où Barack Obama négociait âprement avec l’Iran, certains journalistes ont pu remarquer que l’actuel président estimait alors un affrontement avec Téhéran très probable, car il aurait permis à Obama de détourner l’attention de sa propre situation sur la scène intérieure. Donald Trump disait ainsi dans un tweet du 22 octobre 2012 : « Ne laissez pas Obama jouer la carte iranienne et déclencher une guerre histoire d’être réélu. Républicains, prenez garde ! » Aujourd’hui, il pourrait trouver l’idée suffisamment séduisante, compte tenu de ses propres difficultés – sans commune mesure avec celles d’Obama!- pour la reprendre à son compte.
Le fait est que le bilan de son mandat est très mitigé. Certes, les Etats-Unis sont devenus les premiers producteurs mondiaux d’hydrocarbures, et sur le plan économique, la Maison-Blanche souligne que la croissance et la baisse du chômage ont permis une hausse du revenu médian, donc une vie meilleure pour la classe moyenne. L’argument permet d’ailleurs de chasser sur les terres électorales des Démocrates, qui veulent « reconstruire » cette classe moyenne – celle-ci s’érode en effet depuis près d’un demi-siècle. Pour autant, même si le taux de pauvreté a reculé, les inégalités ont encore progressé : 10% des ménages les plus riches captent depuis dix ans 70% des richesses, soit 8 points de plus en vingt ans, et 50% des moins riches n’en possèdent plus que 1,3% aujourd’hui. La mobilité sociale, sujet prégnant dans le débat public américain, s’est également dégradée, les millenials ayant beaucoup plus de difficultés à occuper des emplois qualifiés que leurs parents.
Sur le plan international, la politique étrangère de Donald Trump est globalement un échec. Que ce soit en Corée du Nord, en Palestine, aucune sortie de crise ne semble en vue. L’abandon progressif de la Syrie fragilise grandement les intérêts américains au Moyen-Orient, sans que Trump ne semble en prendre conscience. Quel que soit le théâtre d’opérations, l’alternance d’un discours « va-t-en guerre », de négociations qui s’achèvent dans une impasse et de décisions aussi abruptes qu’inconséquentes, laisse un certain sentiment d’incohérence et d’inaction qui stupéfie jusqu’à l’entourage immédiat de Donald Trump. Seul point positif : la guerre commerciale qui oppose depuis un an et demi la Chine aux Etats-Unis semble peut-être sur le point d’être résolue, avec la signature d’un accord préliminaire dans les semaines à venir.
Plus le temps passe, plus les difficultés s’accroissent pour Donald Trump. Trouver un ennemi utile, extérieur de préférence, au moment le plus propice – quelques mois avant sa campagne – ne paraît pas du tout invraisemblable au regard du bilan dressé. Et quel meilleur candidat que l’Iran, ce pays qui subit depuis mai 2018 sa « pression maximale » pour renégocier l’accord de Vienne sur le nucléaire, et n’a pourtant pas plié ? C’est bien plutôt l’Iran qui a inversé cette stratégie en frappant les alliés des Etats-Unis, l’Arabie Saoudite en tête, voire les Américains directement avec la destruction d’un de leurs drones, sans que les Etats-Unis ne réagissent.
L’Iran est un caillou dans la chaussure de Donald Trump depuis le début de son mandat. Un jour belliqueux, le lendemain en faveur de la paix entre les peuples et des tables de négociation, le président américain n’a jamais su tenir une stratégie cohérente avec Téhéran. Rien ne serait plus facile que de choisir l’option la plus violente, en attisant de surcroit le ressentiment vieux de quarante ans entre les deux pays. Engager une guerre contre l’Iran aurait également le mérite de séduire une partie de l’électorat juif américain en redorant l’image des Etats-Unis auprès de Benjamin Netanyahu et des conservateurs israéliens, favorables depuis toujours à une intervention militaire contre la République islamique.
La stratégie comporte néanmoins des difficultés. Qui, en effet, n’y verrait pas un simple calcul électoral ? En outre, une intervention américaine déclenchée sans provocation iranienne serait impensable pour le Pentagone et même pour Mike Pompeo, qu’on ne peut pourtant pas soupçonner d’une quelconque sympathie pour les Iraniens. On peut aussi rappeler que les menaces de frappe agitées par Donald Trump contre le Venezuela, la Corée du Nord, et la Syrie, n’ont jamais été suivies d’effets. Cependant, ce serait une erreur de négliger le propre pouvoir de nuisance des alliés traditionnels des Etats-Unis – Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis et Israël – dans la région, qui pourraient initier « la » provocation de trop. Pour eux, les quelques mois qui restent avant une éventuelle alternance constituent leur dernière chance de déclencher le conflit tant espéré avec l’Iran.
Si la possible stratégie de Trump est risquée, elle a été rendue très plausible par les toutes récentes déclarations de Mike Pompeo et Benjamin Netanyahu ce jeudi, tous deux sans doute à la recherche de cette fameuse « provocation ». En visite à Berlin, le Secrétaire d’Etat américain a ainsi accusé l’Iran « d’extorsion nucléaire » et de développer sa technologie pour obtenir l’arme nucléaire. Quelques heures après ces déclarations, Benjamin Netanyahu renchérissait en accusant l’Iran de violer le traité de non-prolifération des armes nucléaires, et d’avoir conservé un site secret en vue de la fabrication d’une bombe atomique. Tous deux y voient une « agression » et pressent les Européens d’abandonner leurs efforts envers l’Iran pour sortir également de l’accord de Vienne. A quelle fin, sinon celle d’avoir la voie enfin libre pour une intervention militaire ? L’Histoire bégaie : l’argument ne rappelle que trop les prétextes avancés par les Etats-Unis pour envahir l’Irak en 2003…
Mais à trop vouloir jouer aux pompiers-pyromanes, les Américains pourraient finir par être pris à leur propre piège. Si le Moyen-Orient bascule dans un nouvel affrontement, l’issue pourrait être non seulement incertaine, mais potentiellement désastreuse pour eux et leurs alliés.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 09/11/2019.