Accord sur le nucléaire iranien : la France jouerait-elle avec le feu ?

Auditionné mercredi par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le ministre Jean Yves Le Drian évoquait la possibilité de déclencher un mécanisme inclus dans l’accord sur le nucléaire iranien, qui pourrait engendrer le rétablissement de sanctions de l’ONU contre l’Iran. Il faisait allusion au dispositif de règlements des différents prévu effectivement dans le traité, qui compte de nombreuses étapes et peut mener à un vote au Conseil de sécurité de l’ONU pour décider du rétablissement ou non des sanctions qui pénalisaient l’Iran avant 2015.

La raison ? Les « encoches supplémentaires » de l’Iran au traité, notamment la reprise de l’enrichissement d’uranium, effectuées régulièrement tous les soixante jours depuis le mois de mai dernier. Mais à chaque désengagement, l’Iran n’a pourtant de cesse de demander aux autres parties de tout mettre en oeuvre pour respecter les termes de l’accord, ce que nul ne semble faire.

La réponse des officiels iraniens aux propos de Jean-Yves Le Drian ne s’est évidemment pas faite attendre. Dès le jour suivant, Abbas Moussavi, porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien, rappelait que « l’accord n’autorisait pas les parties européennes à invoquer le mécanisme dans la mesure où l’Iran exerce son droit légal en réponse aux actions illégales et unilatérales des Etats-Unis ».

C’est effectivement le cas : déjà en mai 2019, un an après le retrait unilatéral des Américains de l’accord de Vienne, lorsque Hassan Rohani avait estimé « approprié de cesser d’appliquer certains des engagements et mesures volontaires », prises dans le cadre de cet accord, les Iraniens avaient rappelé que, loin de s’en retirer, ils ne faisaient qu’exercer un droit prévu dans le texte et laissé aux membres restants en cas de manquements par une autre partie (en l’espèce, les Américains). A cette occasion, Paris posait déjà la question d’un rétablissement des sanctions contre l’Iran, tandis que les Etats-Unis annonçaient d’emblée de nouvelles sanctions économiques. Seules la Chine et la Russie, autres signataires de l’accord, avaient appelé Washington à cesser toute escalade de tensions et à « maintenir et appliquer l’accord, responsabilité de toutes les parties ».

Sans citer nommément le ministre français, Abbas Moussavi a qualifié ces propos « d’irresponsables » et précisé : « Cela discrédite énormément l’efficacité des initiatives pour l’application globale de l’accord de 2015 par toutes les parties en ligne avec le système de levée des sanctions. » La menace, certes inutile, de la France permet de poser la question très politique du respect des engagements pris. Même si cela est fait fort maladroitement, c’est tout à son honneur, car c’est effectivement le cœur de la crise autour de l’accord sur le nucléaire depuis mai 2018.

Traditionnellement, un accord lie tous ses signataires à respecter leurs engagements. Si l’un des signataires se désengage, unilatéralement de surcroît, il devient difficile d’exiger des autres parties un respect total du traité signé. Or, c’est précisément ce que l’on exige, très injustement, de l’Iran. La France évoque le mécanisme de règlement des différends de l’accord. Mais que ne l’a-t-elle fait valoir lorsque les Etats-Unis se sont retirés il y a un an et demi !

En vertu de l’accord de 2015, l’Iran consentait notamment à garantir la nature pacifique de son développement nucléaire, en échange d’une levée d’une partie des sanctions économiques de l’ONU et de la promesse de nombreux investissements. Mais pendant deux ans, les Iraniens se sont conformés aux conditions de l’accord sans en recevoir les bénéfices promis. En réaction à la « pression maximale » exercée par les Etats-Unis après leur retrait, et face à l’échec des Européens, dont la France, pour proposer une solution de sauvegarde de l’accord efficace et pérenne, l’Iran a choisi de réduire graduellement certains de ses engagements. L’objectif était d’amener les autres signataires de l’accord à protéger le pays des sanctions américaines et lui éviter une récession économique. Malheureusement, cette stratégie, si elle a permis de résister, tant bien que mal, à la pression américaine, n’a cependant fait que révéler l’inefficacité diplomatique et technique des Européens. « Trop peu, trop tard », comme le soulignait Hassan Rohani le 7 juillet dernier.

Certes, Emmanuel Macron a multiplié les efforts pour organiser une rencontre entre Donald Trump et Hassan Rohani dans l’espoir d’une sortie de crise, mais l’idée reste pour l’heure toujours dans l’impasse. Jean-Yves Le Drian pour sa part semble n’avoir jamais cru au succès des efforts diplomatiques entrepris par la France, jugeant la désescalade des tensions rendue impossible « pour plusieurs raisons ». Sont-elles pour autant toutes imputables à l’Iran ? Certes, les relations franco-iraniennes sont complexifiées par la demande de libération des deux chercheurs français retenus à Téhéran, mais le soutien affiché de la France à l’Arabie Saoudite – notamment après les attaques du 14 septembre dernier – ne contribue guère à réchauffer ces relations.

En outre, Jean-Yves Le Drian a justifié ses déclarations de mercredi en fustigeant l’entêtement de la République islamique et la réaction violente du gouvernement iranien contre les manifestants – qui a entraîné la mort de 143 d’entre eux, d’après Amnesty International. S’il est vrai que le régime semble pris de panique face aux difficultés économiques et aux débordements sociaux de part et d’autre de ses frontières, il n’est néanmoins pas certain que l’emploi d’un langage plus vindicatif soit la bonne solution pour résoudre la crise née autour de cet accord.

L’abandon américain est, en premier lieu, le seul responsable des difficultés actuelles. L’Iran tenait ses propres engagements, et n’a que très peu obtenu en retour. Les sanctions économiques américaines, visant à faire tomber le régime et éventuellement à renégocier un accord qui n’aurait avantagé en rien les Iraniens, et surtout l’échec des efforts européens et français, ont obligé l’Iran à développer sa propre contre-attaque. Peut-on décemment le lui reprocher ? Compte tenu du contexte particulièrement inflammable du Moyen-Orient, isoler encore davantage Téhéran n’apparaît pas comme une solution diplomatique pertinente. Cette stratégie est non seulement injuste, mais dangereuse pour toutes les parties de l’accord. Gageons que les propos du ministre français des Affaires étrangères n’engagent que lui et rappelons-nous, comme le disait Talleyrand avec sa redoutable simplicité, que « tout ce qui est excessif est insignifiant »… 

Par Ardavan Amir-Aslani. 

Paru dans l’Atlantico du 30/11/2019.

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