Cela ne fait aucun doute que la base de la diplomatie internationale entre les Etats a toujours été le pouvoir et rien d’autre, comme l’avait souligné naguère Arthur Desmond dans son livre « Le Pouvoir a toujours raison ». Cependant, il y a quelque chose à la limite de la décence dans la soi-disant reconnaissance mutuelle entre Israël et le Soudan. En effet, si on peut comprendre la motivation des Emirats Arabes Unis et du Bahreïn pour finaliser cette reconnaissance, les arguments en faveur de la reconnaissance d’Israël par Khartoum ne sont que le fruit d’un chantage exercé par les Etats-Unis sur ce pays, l’un des plus pauvres du monde.
Les Emirats et le Bahreïn jouissaient déjà de la technologie de pointe qu’Israël leur avait fournie, notamment pour le contrôle de leur population à travers les logiciels d’espionnage dont les pétromonarchies du golfe persique sont friandes. La crainte de la puissance militaire iranienne est donc sans aucun doute le plus grand facteur de ce rapprochement; à cela vient s’ajouter, pour le Bahreïn, l’appréhension pour sa propre pérennité en tant qu’Etat souverain du fait de son histoire et de la composition démographique de sa propre population à plus de deux tiers chiites duodécimains. Rappelons à cet égard que jusqu’à la fin des années 60, deux députés représentant la province du Bahreïn siégeaient à l’assemblée nationale iranienne.
Ces deux pays du golfe persique espéraient également la fin de l‘opposition d’Israël face à leur demande d’achat d’armements sophistiqués, notamment des avions de chasse F-35 et des drones d’attaques Reaper. En effet, par une déclaration conjointe, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ministre de la défense Benny Gantz ont déclaré avoir mis fin à leur opposition sur les ventes de ces armes par Washington; étant entendu que les Etats-Unis ont réitéré, entre autres, leurs engagements de maintenir la supériorité technologique des armements accordés à Israël par rapport à ceux vendus aux pays arabes (le fameux Qualitative Military Edge) ainsi que le rehaussement des systèmes de défense des israeliens. En somme, cette reconnaissance et l’établissement des relations diplomatiques ont été plus que bénéfiques pour les Emirats-Arabes Unis et le Bahreïn.
En ce qui concerne le Soudan, le rapprochement est dû non pas à d’éventuels ventes d’armes ou encore à un soutien hypothétique contre les menaces d’une puissance étrangère mais tout simplement à un besoin urgent de nourriture et à l’espoir d’intégrer le plus rapidement possible l’économie internationale. Une première rencontre, au mois de février, entre Netanyahu et le Général Soudanais A-Burhan n’ayant pu aboutir, le secrétaire d’Etat américain, profitant de l’aggravation de la situation économique au Soudan s’empressa de proposer au mois d’août un accord qui en échange des dons de blé et de la radiation du Soudan de la liste des pays sponsors du terrorisme, exigeait une reconnaisse d’Israël par Khartoum. Proposition qui fut acceptée à contre cœur par le Soudan; dans son tweet annonçant le retrait de son pays de cette fameuse liste, le Président du Soudan, Adallah Hamdok ne fait état de cette reconnaissance qui d’ailleurs ne donnera pas lieu à des échanges d’ambassadeurs.
Maigre gain pour les Soudanais qui ont reçu des dons de blé et quelques millions de dollars en aide humanitaire de Washington en échange de la reconnaissance d’Israël. En revanche, les Israéliens eux, ont obtenu outre le droit de survol de l’espace aérien du Soudan pour les vols d’El Al à destination de l’Amérique latine, la possibilité de rajouter encore un Etat arabe à leur palmarès. Quant à Donald Trump, l’annonce, à fort renfort médiatique, de cette reconnaissance, lui laisse espérer un renforcement d’une des composantes de sa base électorale représentée par des extrémistes évangéliques.
Pas certain du tout que ce dernier coup diplomatique améliore les perspectives électorales de Donald Trump. Pas sur non plus que ces reconnaissances de conjonctures obtenues à l’encontre de la volonté des peuples arabes concernés perdurent dans le temps.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 25/10/2020.