L’ONU ne se montrant pas complaisante avec son projet de mettre l’Iran à genoux, l’administration Trump poursuit unilatéralement sa surenchère de sanctions. Début octobre, dix-huit banques iraniennes étaient ainsi exclues du circuit financier international, pénalisant encore un peu plus l’économie iranienne déjà exsangue. Une semaine avant le scrutin très attendu de l’élection présidentielle américaine, c’est le secteur pétrolier qui est visé. L’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Département du Trésor américain a ainsi annoncé des sanctions à l’encontre du Ministère iranien du pétrole, de la Compagnie pétrolière nationale iranienne et de sa filiale pétrolière, déjà visées par des sanctions en raison de leur soutien à des « organisations terroristes », à savoir les Gardiens de la Révolution. Le département a également sanctionné plusieurs sociétés écrans, filiales et cadres affiliés à ces organisations, dont le ministre iranien du Pétrole, ainsi que quatre personnes impliquées dans l’exportation de pétrole iranien au Venezuela et en Syrie.
Afin de permettre à l’économie iranienne de survivre malgré les sanctions, le secteur énergétique iranien a en effet trouvé quelques parades, en exportant notamment vers la Chine et la Syrie environ 300 000 à 400 000 barils de brut par jour, une chute néanmoins de 2,5 millions de barils par rapport au niveau d’exportation de l’Iran avant mai 2018. Conscient de ce contournement, Donald Trump avait déjà placé quatre jours plus tôt sur liste noire six entités chinoises et deux personnalités – le DG et le PDG du groupe Reach Holding – pour leurs liens commerciaux avec la compagnie maritime iranienne Islamic Republic of Iran Shipping Lines (IRISL) et sa filiale Hafez Darya Arya Shipping Company. Le Venezuela est également un client de l’Iran qui avait envoyé en mai dernier cinq tankers chargés de pétrole et d’additifs pour l’industrie pétrolière, au grand dépit des Etats-Unis qui convoitent le pétrole vénézuélien et rêvent de faire tomber Nicolas Maduro à cette fin. Le rapprochement de Téhéran et Caracas était donc naturellement vu d’un mauvais œil et devait faire l’objet de sanctions tôt ou tard.
Les réactions iraniennes à ces nouvelles annonces ne se sont pas faites attendre. Dès lundi, Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères iranien, a dénoncé « l’addiction » des Etats-Unis aux sanctions, et n’a pas manqué de rappeler que la « pression maximale » n’avait fait que diminuer leur influence à travers le monde. Le porte-parole de la mission de l’Iran auprès des Nations Unies a pour sa part dénoncé « l’hostilité des Etats-Unis envers le peuple iranien ». Personnellement visé par ces sanctions, le ministre du Pétrole ne semblait guère intimidé : « Imposer des sanctions à mes collègues et à moi-même est une réaction passive à l’échec de la politique de Washington visant à réduire à zéro les exportations de pétrole brut [de l’Iran]. L’ère de l’unilatéralisme est terminée dans le monde. L’industrie pétrolière iranienne ne sera pas paralysée. »
A Téhéran comme partout ailleurs, nul n’est dupe de la manœuvre américaine. Sous couvert de « lutte contre le terrorisme » et contre les « activités de déstabilisation » des Pasdarans au Moyen-Orient, ces sanctions témoignent surtout d’une fuite en avant désespérée et de la profonde fébrilité qui saisit la Maison-Blanche, alors que les derniers sondages donnent Donald Trump huit points derrière son adversaire démocrate Joe Biden. Le candidat démocrate a répété à l’envi qu’en cas de victoire, il reprendrait les négociations avec Téhéran. De la même manière qu’il s’est d’emblée refusé à reconnaître son éventuelle défaite, Donald Trump s’emploie désormais à multiplier les obstacles à la fois pour Joe Biden et pour l’Iran, de façon à rendre sa « pression maximale » irréversible.
En frappant le secteur pétrolier iranien de sanctions autorisées par les dispositions antiterroristes adoptées après les attentats du 11 septembre 2001 – au fort poids symbolique – Trump rend effectivement la tâche de Joe Biden particulièrement délicate sur le plan politique pour la justifier auprès de l’opinion américaine. A travers ces nouvelles sanctions, il vise clairement la force Al-Qods, l’unité d’élite de l’armée iranienne dirigée par Ghassem Soleimani avant son assassinat sur ordre de Washington en janvier dernier, et s’emploie à souligner le lien qui existe entre les Pasdarans et le secteur énergétique iranien.
Du côté des clients de l’Iran, les choses sont également rendues plus complexes puisque désormais, les entreprises internationales ne pourront pas investir dans le secteur énergétique iranien ou même acheter du pétrole à l’Iran sans se heurter à ces sanctions. La Tanzanie, elle-même impliquée pour « transferts illicites » de brut iranien vers l’émirat de Fujairah et la Malaisie, a décidé de retirer leur pavillon à quatre tankers qui avaient rejoint récemment le registre africain. Un négociant en pétrole à Téhéran cité par le New York Times, résume parfaitement l’enjeu : « Ils empêchent l’Iran et Biden de sortir de ce bourbier. Il semble que Trump pense qu’il pourrait perdre et se précipite pour resserrer le nœud coulant sur l’Iran et sur la diplomatie de Biden. »
Il n’en reste pas moins que les sanctions n’infléchissent nullement la position de la République islamique, tout en créant les conditions d’une grave crise humanitaire en Iran, puisqu’elles ont dramatiquement réduit les stocks de médicaments essentiels tels que l’insuline et les vaccins anti-grippaux, et complexifient l’acheminement de matériel médical indispensables en pleine pandémie de Covid-19, les entreprises importatrices ne pouvant pas payer en raison des restrictions sur les transactions bancaires. L’Iran comme le monde entier a les yeux rivés sur la situation politique à Washington, à quelques jours d’une élection cruciale pour son avenir. Pour autant, la question de savoir si Joe Biden parviendra à dégager les deux pays du « bourbier » dans lequel l’administration Trump les a entraînés est incertaine. Car même en cas de victoire du candidat démocrate, il est certain que la situation actuelle perdurera au moins jusqu’au 20 janvier, date de son investiture. Autant dire une éternité…
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 01/11/2020.