Les quatre années chaotiques de l’administration Trump viennent de s’achever. Un jour nouveau s’annonce à Washington avec non seulement l’espoir d’un changement dans la façon de gouverner, mais aussi un changement radical par rapport au programme de Donald Trump. Si ce dernier a consacré l’essentiel de son mandat à défaire ce que Barack Obama avait fait, Joe Biden, le président élu, s’empressera de défaire ce que Donald Trump a fait pour revenir à la situation ante.
C’est ainsi qu’il a promis de réintégrer les Etats-Unis au sein de l’Organisation mondiale de la santé, de l’Accord de Paris sur le climat et d’abroger l’interdiction de rentrée sur le territoire des Etats-Unis des ressortissants d’un certain nombre de pays musulmans. Ces mesures trouveront application par décret présidentiel dès le premier jour de son mandat, au lendemain de la cérémonie d’inauguration le 20 janvier 2021.
Ce qui en revanche n’est pas près de s’inverser, en tout cas pas dans l’immédiat, est le retour des Etats-Unis au sein de l’accord nucléaire avec l’Iran. Ce fameux accord communément appelé la JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) est entré en vigueur en janvier 2016 et les Etats-Unis l’ont quitté au mois de mai 2018. Cet accord qui fut la réussite phare de l’administration Obama avait fait le pari qu’en échange du retour de l’Iran dans le système financier international, Téhéran s’engageait à modérer sa politique interventionniste au Moyen-Orient en sus de soumettre au contrôle international son industrie nucléaire.
On ne saura jamais si ce pari aurait fonctionné car Donald Trump retira Washington de cet accord et propulsa l’Iran, à travers sa politique de pression maximale, vers une récession économique sans précédent.
Contrepartie. Il est vrai que Joe Biden avait déclaré pendant la campagne son souhait de voir les Etats-Unis réintégrer cet accord que Donald Trump avait naguère qualifié de « pire accord jamais conclu par les Etats-Unis ». Or, il est peu probable que Washington réintègre cet accord, purement et simplement, sans demander une contrepartie aux Iraniens.
En effet, même si tel était son souhait, le paysage politique de l’Amérique de 2020, après quatre années de trumpisme, n’est pas celui qu’il était en 2016. Il est fort probable que les démocrates ne récupèrent pas la majorité du Sénat (après les deux élections à venir en janvier dans l’Etat de Georgie) et il faudra qu’ils fassent avec un parti républicain profondément marqué par le Président sortant qui a récolté plus de voix en 2020 qu’en 2016.
Au même titre qu’il est peu envisageable pour Joe Biden de revenir sur le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem ou encore sur la reconnaissance de l’annexion du Golan par Israël, il est aussi illusoire de considérer qu’il pourra revenir à l’accord nucléaire iranien de 2015 dans sa forme originale. La question de la sécurité d’Israël est une question « bipartisane » au sein du Congrès, ce qu’a d’ailleurs rappelé le Premier ministre israélien qui dans son message de félicitations au Président démocrate élu rappelle ses quarante ans d’amitié avec « Joe ».
En fait, la question iranienne est le sujet le plus sensible pour Israël et ne saurait être appréhendée indépendamment de la position israélienne. C’est l’erreur qu’a fait Obama et le retrait américain de l’accord nucléaire à l’initiative de Trump en est la conséquence. Biden n’est pas prêt à commettre la même erreur. C’est d’ailleurs de façon très significative que le ministre israélien chargé des « affaires des colonies » a d’ores et déjà annoncée que l’Etat hébreu serait « contraint d’agir » contre Téhéran en cas d’élection de Joe Biden et de nouvelles négociations avec l’Iran.
Biden ne manquera pas de demander comme contrepartie, l’abandon de l’interventionnisme iranien au Moyen-Orient et un arrêt de son programme de missile balistique
Mirage. Du côté de Téhéran, il n’est même pas certain qu’il y ait un appétit pour un retour au statut ante. Les Iraniens comprennent maintenant, pour l’avoir vécu, que l’accord nucléaire est davantage un mirage qu’autre chose. En effet, des centaines de milliards provenant d’investissements étrangers qui avaient été annoncés lors de sa signature, l’Iran n’a reçu qu’une fraction insignifiante du fait du maintien des sanctions américaines non liées au nucléaire qui pénalisaient l’Iran pour un soutien allégué au terrorisme ou encore pour des considérations de droits de l’homme.
Ce d’autant que Biden ne manquera pas de demander comme contrepartie, l’abandon de l’interventionnisme iranien au Moyen-Orient et un arrêt de son programme de missile balistique. Des demandes inacceptables pour l’Iran. Le Guide, Ali Khamenei, a même interdit à l’administration finissante de Rohani d’entamer une quelconque négociation avec l’administration nouvellement élue. Il ne souhaite pas, en effet, que Rohani bénéficie d’un avantage quelconque d’un dialogue avec les Américains préférant laisser la prochaine administration iranienne, sûrement conservatrice, s’attribuer les mérites, si mérites il y a, de cette ouverture.
Pareillement, le monde verra le retour du multilatéralisme dans les relations internationales avec le nouvel occupant démocrate de la Maison Blanche, ce qui signifie que l’Europe ne s’opposera plus à la position américaine et qu’elle s’alignera sur la position de cette dernière, entraînant l’isolement de l’Iran en cas de conflit avec Washington.
Ainsi, il est fort probable que l’incertitude perdure sur le retour de l’Iran dans le concert des nations.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Opinion le 12/11/2020.