Le choix de Robert Malley, comme envoyé spécial américain sur les questions iraniennes, est une rupture, pour le moins radicale, avec l’administration de Donald Trump. Ce dernier, qui était le principal négociateur de l’accord nucléaire de 2015 est décrié par les républicains comme étant trop sensible aux positions iraniennes et critique par rapport à Israël. Cependant, il est incontestablement l’un des meilleurs experts américains de l’Iran et du Moyen-Orient en général. Il a d’ailleurs dirigé le « desk » du Moyen-Orient sous Obama à la Maison Blanche. Le message envoyé au gouvernement iranien par cette désignation reflète le souhait du nouveau Président américain de s’engager dans un réel dialogue avec l’Iran. Le choix de Robert Malley laisse présager une relation qui irait largement au-delà du retour des Etats-Unis dans l’accord nucléaire et entrainerait peut-être le rétablissement des relatons diplomatiques entre les deux pays; un véritable séisme diplomatique qui ne manquerait pas de bouleverser le jeu des alliances au Moyen-Orient s’il devait se réaliser.
Ce choix très clairement symbolique de Robert Malley, partisan du retour de l‘Iran dans le concert des nations, risque de ne pas créer l’effet escompté en Iran. En effet, en quatre ans le monde a changé et avec lui, l’Iran. Ceux avec qui Robert Malley avait négocié l‘accord nucléaire de 2015 quitteront le pouvoir le 18 juin prochain, à l’occasion des élections présidentielles iraniennes auxquelles le Président sortant ne peut se représenter. La sortie américaine de l’accord nucléaire iranien en mai 2018 et la transposition par Donald Trump de sa politique de pression maximale n’ont eu pour effet que de détruire l’économie iranienne augmentant ainsi la souffrance au quotidien de la population mais n’ont en aucun cas ralenti ou encore moins arrêté le programme nucléaire de Téhéran. Bien au contraire, Téhéran ayant patienté pendant un an après le retrait américain a commencé graduellement à écarter l’application de ses engagements au titre de l’accord. Le pays a même recommencé à enrichir l’uranium à 20% et a procédé à l’installation de centrifugeuses nouvelles générations sur le site de Fordo, actes formellement interdits par l’accord en question.
En revanche, le retrait américain, en plongeant l’économie iranienne dans le désarroi le plus total, a renforcé la position des conservateurs et des ultras en Iran, a anéanti la crédibilité des pragmatiques et a fini par détruire le peu de considération qui restait encore au Président Rouhani.
Ces derniers n’ont donc que peu de chance d’accéder à une victoire lors des élections présidentielles qui se tiendront dans moins de cinq mois. Ainsi, l’administration entrante de bonne volonté de Joe Biden, rencontrera l’administration sortante de Rouhani. Elles auront à peine le temps de se dire au revoir que l’Iran aura surement élu un candidat du régime hostile à cet accord dans sa totalité. En effet, Téhéran a pu constater pendant sa courte validité que cet accord n’était pas la panacée mais une illusion ne faisant que miroiter des espoirs chimériques du retour de l’Iran dans l’économie internationale. Des milliards d’investissements annoncés, le pays n’a reçu qu’une infime fraction. En effet, l’accord n’avait levé que les sanctions liées au nucléaire et non celles frappant l’Iran pour d’autres motifs tel que son soutien allégué au terrorisme. Ainsi, le prochain gouvernement iranien ne manquera pas de demander la levée, sans exception, de toutes les sanctions américaines, même celles non liées au nucléaire qui bloquent le retour de Téhéran dans le système financier international en interdisant des transactions en dollars. Requête difficile à satisfaire sachant que la levée des sanctions non liées au nucléaire nécessitent un vote du congrès où les démocrates n’ont qu’une très faible majorité grâce au vote de départage du vice-président.
En tout état de cause, la question demeure de savoir qui de l’Iran ou des Etats-Unis fera le premier pas. Téhéran considère qu’il appartient aux américains de réintégrer l’accord avant qu’il, n’envisage de se remettre en conformité avec ses dispositions. Il argue, qu’après tout, c‘est Washington qui n’a pas respecté ses promesses; l’Iran étant, à cette époque, en totale conformité avec ses engagements comme cela avait été attesté par treize rapports successifs de l‘Agence Internationale pour l’Energie Atomique. Washington, en revanche, a adopté la position inverse, exigeant la mise en conformité de l’Iran avant sa réintégration de l’accord. De plus, l’administration nouvellement élue de Joe Biden souhaite également traiter en sus du nucléaire, des questions relevant du programme de missiles balistiques de l’Iran et son militarisme au Moyen-Orient. En attendant, Washington a décidé de maintenir les sanctions draconiennes imposées par Donald Trump.
C’est dire que malgré les meilleures intentions du monde la tâche n’est pas aisée; avec en outre un Benjamin Netanyahu qui attend que l’Iran atteigne la quantité d’uranium enrichie nécessaire pour la fabrication d’une bombe afin d’entamer des frappes contre les installations nucléaires iraniennes. Il est vrai que le chemin vers l’enfer est pavé de bonnes intentions !
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 31/01/2021.