« Les grands crimes ont besoin d’un grand silence pour se faire » dixit l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann, grand défenseur de la cause ouïghoure dans l’opinion française depuis quelques années. Alors qu’on pensait que l’expression « camp de concentration » appartenait à une période de l’histoire révolue, le problème ouïghour, moins connu en Occident que le problème tibétain, nous démontre le contraire. Malgré de nombreuses alertes lancées ces dernières années, notamment par la diaspora ouïghoure au sujet de la situation au Xinjiang, la communauté internationale a profité de l’absence de preuves formelles pendant un certain nombres d’années afin d’éviter de traiter le dossier chinois. Suite à des révélations et des preuves de plus en plus accablantes, les grandes puissances ont dû rompre leur silence et prendre position sur le sort de la minorité ouïghoure en Chine, grands sacrifiés des affaires internationales.
Les Ouïghours, une communauté méconnue
Les Ouïghours (les « Unis » ou les « Alliés »), population turcophone appartenant au courant de l’islam sunnite sont l’une des cinquante-six ethnies peuplant la Chine et représentant onze millions de personnes. Présents en Asie centrale depuis le VIIIème siècle aux côtés des Mongols et des Kazakhs sur lesquels ils ont pris le pouvoir, mettant ainsi fin au khaganat des Gokturk, les Ouïghours se sont installés dans l’actuelle province du Xinjiang, région autonome au nord-ouest de la Chine sous souveraineté pékinoise. Cette région a été intégrée à l’État chinois en 1759, période où la Chine était la plus vaste géographiquement. Le Xinjiang s’étend aujourd’hui sur 1,6 millions de km2 – soit presque 3 fois la France métropolitaine – et représente 16% du territoire chinois. Frontalière avec huit pays dont la Russie, la Mongolie et le Kazakhstan, cette région dispose d’un sous-sol riche de nombreuses ressources naturelles (or, pétrole, uranium et gaz). Jusqu’à l’avènement des empires russe et chinois au XVIIIème siècle, cette région était un véritable point de passage sur la route de la soie, stratégiquement situé entre les steppes d’Asie centrale et les plaines européennes. Afin de comprendre la crise actuelle touchant cette communauté, il faut bien noter que les Ouïghours ont une culture différente de la culture chinoise et n’ont été rattachés à la Chine qu’à la fin de la dynastie Qing, dernier empire chinois (1644-1912). Ils sont en effet plus proches, du point de vue ethnique et culturel, des populations du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan et du Kirghizistan où ils sont également présents et très différents des Hans, population majoritaire en Chine. Les Ouïghours considèrent d’ailleurs qu’ils vivent dans le Turkestan oriental, comprenant d’autres ethnies telles que les Kazakhs et les Kirghizes. La raison vient du fait qu’une « République islamique du Turkestan Oriental » (RTO) a bel et bien existé entre 1944 et 1948 sous l’égide de l’URSS qui a profité de l’affaiblissement de l’empire chinois pour jouer des coudes avec la Grande Bretagne, dans la quête d’influence de cette région, surnommée « Le Grand Jeu ». Cette République a rapidement disparu suite à l’annexion de cette zone par le régime communiste chinois qui avait peur de l’alliance éventuelle du Xinjiang avec l’ennemi russe. Le pouvoir chinois a alors donné le statut de province à cette région et la baptise « Xinjiang » (« La Nouvelle Frontière »). Après avoir installé dans cette zone des colonies civiles et militaires, les autorités ont encouragé un colonialisme intérieur par les Hans afin de provoquer un basculement démographique dans cette zone. A la suite de ce processus complexe de colonisation combiné à une exclusion des Ouïghours du partage des richesses générées par la montée de la valeur de la région, la population ouïghoure locale est passée de 80 % à 40% de la population locale. Cela représente le principal grief des mouvements de protestation ouïghoure et a grandement contribué à envenimer les relations entre les deux ethnies, ce qui a donné lieu à des heurts en 2009 à Urumqi, capitale du Xinjiang, sanctionné par une violente répression étatique.
Une politique de répression des Ouïghours ancienne
A partir de 1950, les autorités chinoises ont enclenché le processus de ralliement des élites locales à la République populaire, notamment les élites ouïghoures et ont appliqué de manière plus douce au sein de ces communautés, la réforme agraire qui avait été décidé pour tout le pays. Puis, entre 1958 et 1976, la politique d’assimilation a été durcie envers les minorités tibétaines et ouïghoures s’inscrivant dans une révolution culturelle plus vaste dans le pays, visant à en finir avec les « Quatre Vieilleries » (en référence aux idées, à la culture, aux coutumes et habitudes surannées). Le processus de sinisation a ainsi consisté à forcer les Tibétains à manger et cultiver du riz, les Ouïghours à manger du porc et à remplacer la langue turc par le mandarin, le but étant d’anéantir la force de l’Islam. En 1976, la mort de Mao Zedong sonne le début d’une période d’apaisement durant laquelle le parti communiste chinois, mené par Hu Yaobang, secrétaire général, a fait une autocritique et admis que la politique d’intégration des minorités avait été trop violente. La politique d’ouverture menée entre 1979 et 1995, tournée vers la tolérance religieuse, culturelle et l’extérieur (autorisations de voyage et de pèlerinage à La Mecque) a ainsi permis l’émergence de figures de dissidence parmi l’élite ouïghoure telle que Rebiya Kadeer, exilée depuis aux États-Unis. Toutefois, un tournant important a eu lieu en 1995. En raison des émeutes dans la ville d’Aksou et de la guerre contre l’axe du mal décidée par G. W. Bush suite aux attentats du 11 septembre 2001, un retour à une politique répressive à l’égard des minorités a été décidé. Depuis l’arrivée de Xi Jinping, secrétaire général du Parti communiste chinois depuis 2012 et président depuis 2013, la politique chinoise se concentre sur la lutte contre l’extrémisme musulman et se montre de plus en plus virulente à l’encontre des habitants du Xinjiang. L’objectif en toile de fond est de tout contrôler afin d’éviter un effondrement idéologique de la société chinoise à l’instar de la société soviétique. Outre les quelques dizaines de Ouïghours partis grossir les rangs d’Al-Qaida en Syrie, Tchétchénie, Irak et Afghanistan, les attentats de Beijing sur la place Tiananmen (2 morts) et d’Urumki (1 mort, 79 blessés) en 2013 et de la gare de Kunming en 2014 (31 morts et 143 blessés), ont traumatisé la société chinoise. Les autorités se mettent alors en tête que le problème terroriste serait résolu si la communauté ouïghoure disparaissait. Pourtant, depuis les années 1990, la montée de l’influence des groupes islamistes n’est pas plus forte dans le Xinjiang que dans le reste de l’Asie centrale et la mouvance d’islamistes ouïghoures est jugée très peu puissante et organisée.
Une répression de masse à la mécanique orwellienne
Depuis le début de sa présidence, Xi Jinping a poussé le curseur du totalitarisme à son maximum en s’appuyant sur la technologie pour mettre en place une sécurisation maximale du Xinjiang, surveillée de manière militaire (intelligence artificielle, drones déguisés en pigeons, caméras de surveillance avec logiciel de reconnaissance faciale, collecte des données biométriques de tous les citoyens, surveillance des communications et des déplacements). Des avocats, universitaires, militants politiques, étudiants et défenseurs des droits de l’Homme, membres d’ONG, syndicalistes ouïghours et non ouïghours au sein du pays ont également été pris pour cible par les autorités pour avoir défendu les droits élémentaires des minorités nationales. L’arrivée en 2016 de Chen Quanguo au poste de secrétaire général du Parti communiste au Xinjiang, après avoir occupé le même poste au Tibet, région chinoise meurtrie par un ethnocide encadré par les soins de ce dernier, fait monter d’un cran le degré de violence de la politique d’internement et de répression. Au-delà de la lutte contre toute forme de contestation de la souveraineté de l’État chinois et du radicalisme musulman, des camps d’internement et de rééducation géants, appelés « centres de formation professionnelle » par la propagande officielle, ont été mis en place hâtivement, jusque sur des terrains de football afin de détenir des Kazakhs et des Ouïghours, déportés et emprisonnés en masse sur la base de signes de radicalisme musulman décidés arbitrairement (possession d’un Coran ou d’une représentation soufie chez soi, prières, non consommation d’alcool ou de porc, port d’une barbe, d’un voile ou d’un prénom islamique ou même à consonance turc). Dans les centaines de camps-usines, les détenus – 1 à 3 millions selon les ONG – vivent dans des dortoirs surpeuplés, suivent des cours de chinois et d’idéologie en plus de leurs heures de travail, ne sont pas autorisés à suivre leurs rituels religieux ni à parler dans leur langue d’origine et sont surveillés en permanence y compris dans les toilettes. Officiellement dépeints comme des étudiants qui préparent un diplôme, les détenus se voient imposés un système de points implacable qui évalue leur transformation idéologique. Outre les interrogatoires au cours desquels les ouïghours et les kazakhs subissent des sévices, la séparation des familles, les astreintes à résidence, les expropriations de logements ouïghours au profit des Hans suivies par la disparition des propriétaires, la torture ainsi que le chantage et l’intimidation de la diaspora ouïghoure à l’étranger via la famille restée au Xinjiang feraient partie des méthodes appliquées en masse par le gouvernement chinois depuis des années. De plus, se rendre à la Mecque ou dans une mosquée pour prier est donc officiellement proscrit et devenu matériellement impossible puisque près de 16 000 mosquées ont été détruites dans la région du Xinjiang selon un rapport de l’Institut australien de politique stratégique (ASPI), en date de septembre 2020, basée sur des observations satellites. Outre le processus d’acculturation mis en œuvre par les autorités chinoises depuis des décennies, un véritable eugénisme est également à l’œuvre puisque des femmes ouïghoures se font avortées lorsqu’elles n’ont pas obtenu d’autorisation pour procréer, imposées une contraception (stérilet) ou stérilisées de force (ligature des trompes, injection de produits stérilisants sous couvert de fausses vaccinations). Les plus chanceuses d’entre elles sont contraintes de se marier à des hommes Hans. Un rapport de la Jamestown Foundation en date de juin 2020 estime à 60% la chute du nombre de naissances liée aux mesures d’entrave imposées aux ouïghours. De nombreux viols sont également perpétrés, notamment par des cadres Hans qui sont envoyés dans les familles du Xinjiang pour s’assurer de leur bonne conduite. Les enfants orphelins ou arrachés à leurs familles sont endoctrinés dès le plus jeune âge selon les règles et traditions du Parti communiste chinois.
Une répression à double tranchant
La campagne de rééducation menée violemment au Xinjiang a ainsi pour clé de voûte la séparation des familles. Cet élément stratégique a en effet pour objectif d’élever la jeune génération loin de leur berceau culturel et religieux afin de leur inculquer le chinois et l’idéologie du Parti communiste. Toutefois, le profond traumatisme subi par les enfants arrachés à leurs familles pourrait s’avérer très dangereux pour les autorités chinoises. Malraux disait « le terrorisme provoque la répression mais la répression organise le terrorisme ». Ainsi, ces enfants qui finiront par comprendre leur situation pourront réagir par la violence en basculant par exemple dans le terrorisme. De plus en plus conscient de la dangerosité des conséquences de leur politique, le gouvernement chinois a mis en place un plan d’action en 2018 pour offrir un « soutien psychologique rapide et efficace » ayant pour but de « compenser l’absence de liens familiaux ».
Une répression qualifiable de génocide ?
Plusieurs termes se bousculent lorsque le sujet ouïghour est abordé : ethnocide, violences étatiques, violences systémiques, génocide culturel, génocide. Sur l’emploi du terme génocide, sa pertinence est indéniable d’un point de vue juridique. En effet, l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dispose que, « le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ». Au vu de la volonté d’éliminer le peuple ouïghour par la stérilisation systématique des femmes, l’élément intellectuel du crime qui a été commis et qui est toujours en cours, paraît limpide. Par ailleurs, la séparation des familles, clé de voûte de la stratégie d’acculturation des ouïghours viole la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies, qui prévoit notamment « que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré », convention pourtant signée en 1992 par la Chine.
Le silence coupable du monde musulman
On pourrait naturellement penser que la population musulmane du Xinjiang bénéficierait d’un fort soutien de la part des pays tels que le Pakistan et l’Arabie Saoudite, qui portent leur foi en étendard. Cependant, la réalité est toute autre. En juillet 2020, 47 pays signent une motion de soutien en faveur de la Chine au nom de la lutte anti-terroriste, lors de la 44ème session du Conseil des Droits de l’hommes de l’ONU, cette dernière ayant été dénoncée devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour sa politique de travail forcé au Xinjiang. Parmi les pays signataires, l’Arabie Saoudite, le Pakistan, l’Iran, Oman, et plus étonnant encore, la Palestine alors même qu’elle a souffert de l’absence de solidarité islamique lors du conflit avec Israël. Pour comprendre les raisons de l’absence de solidarité entre pays musulmans, il faut creuser dans l’essence même du monde musulman. Le monde musulman correspond aux pays de l’Afrique de l’Ouest et du Proche-Orient. La religion islamique, fondée au VIIème siècle en Arabie au moment de l’Hégire, avec les valeurs en découlant, forme l’Oumma, une communauté de croyants liant de facto les pays musulmans. Cependant, la solidarité islamique mondiale ne semble être qu’une chimère, un fantasme occidental. En réalité, les divisions sont à la fois religieuses, entre chiites et sunnite, mais également politiques, notamment sur la question palestinienne. La réception du problème ouïghour dans les pays musulmans démontre que le sort de cette minorité est sacrifié sur l’autel des intérêts économiques des pays musulmans et plus largement de ceux de la communauté internationale. En effet, la dépendance économique des puissances du Proche et du Moyen-Orient, par la Chine, est aujourd’hui la principale raison de l’inaction des pays musulmans qui doivent affronter une crise économique profonde depuis plusieurs années, aggravée par la crise sanitaire. Ils ont donc fait le choix pragmatique de suivre la Chine, non pas car ils sont d’accord avec leurs actions et leur idéologie mais parce que ces pays doivent leur survie économique aux injections de prêts et financements chinois. Le Pakistan a par exemple signé un accord de financement d’infrastructures massives avec la Chine. Des rivalités régionales se mêlent également aux problèmes économiques c’est pourquoi l’Iran et la Turquie ne peuvent se permettre de perdre leur allié chinois qui les a aidés à combattre le courroux américain. Même si la Turquie a été l’un des premiers pays à dénoncer la répression chinoise des ouïghours en 2009 en qualifiant la situation de « honte pour l’humanité », leur président, Recep Tayyip Erdogan a fait volte-face en 2019 en ratifiant un traité permettant d’extrader vers la Chine les Ouïghours réfugiés en Turquie considérés comme « terroristes ». L’accord bilatéral en date de 2017 a finalement franchi la dernière étape. Lors d’une visite en juillet 2020, Erdogan est même allé jusqu’à affirmer que les gens vivaient « heureux » au Xinjiang. Malgré la prise de position implacable du gouvernement turc, la cause ouïghoure reste néanmoins populaire au sein de la population turque en raison de liens culturels et religieux forts avec la minorité ouïghoure. Face au tollé dans l’opinion publique, le ministre des affaires étrangères turques affirme que le traité ne s’applique qu’à des personnes coupables de crimes. Ainsi, même les plus grands défenseurs de la cause ouïghoure mettent leurs critiques en sourdine afin de sauvegarder leurs intérêts économiques, reléguant ainsi la question des droits de l’Homme au second plan.
La prise de parole tardive des grandes puissances
Parce que 80% du coton chinois, l’atelier du monde, est cultivé dans le Xinjiang, les grandes puissances ont tardé à traiter le problème dont ils connaissaient l’existence depuis de nombreuses années. De nombreuses multinationales (Apple, Sony, Samsung, Microsoft, Huawei, Oppo, Adidas, Lacoste, Nike, Tommy Hilfiger, Calvin Klein, Puma, Uniqlo, H&M, BMW, Volkswagen, Mercedes-Benz, Jaguar, Alstom etc.) ont effet des liens avec des sous-traitants locaux. Du côté des grandes puissances, les choses se sont accélérés ces derniers mois, notamment parce que, outre la question de défense des droits de l’Homme que pose la situation des ouïghours, la Chine commence à faire peur à toutes les puissances. Dominic Raab, secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, a condamné une « barbarie que l’on espérait reléguée au passé » devant les députés. Son homologue français, Jean-Yves Le Drian, a fait de même devant l’Assemblée Nationale en juillet 2020, demandant « à ce que la Chine permette l’accès à des observateurs indépendants internationaux dans cette zone et qu’elle permette à la Haut-commissaire aux droits de l’homme (de l’ONU) de visiter le Xinjiang en toute liberté ». En mars 2020, cette dernière avait alors demandé un accès total à la région qui lui a été refusé sans détour. Seules quelques visites ont été organisées et encadrées dans les « centres de formation professionnelle pour adultes », non sans avoir démonté les miradors et clôtures au préalable et installé des terrains de sport. Les États-Unis ont quant à eux frappé fort en 2020 en plaçant onze entreprises chinoises sur la fameuse liste noire des sanctions américaines « impliquées dans des violations des droits de l’Homme liées à la mise en œuvre de la campagne de répression, d’incarcération de masse, de travail forcé, de collecte involontaire de données biométriques et d’analyses génétiques visant les minorités musulmanes de la région autonome ouïghoure du Xinjiang », ce qui a limité leur accès aux technologies et produits américains. Les États-Unis ont récemment durci le ton en bannissant tout produit contenant des fibres de coton ainsi que les produits à base de tomates produits dans le Xinjiang au vu des « pressions menées par Pékin » sur les gouvernements qui protègent « la plus grande crise des droits humains de notre ère » selon Mike Pompeo, ancien Secrétaire d’État américain. Le Canada et le Royaume-Uni ont également mis en place des mesures, toutefois plus vagues, visant à interdire les importations liées au travail forcé des Ouïghours et à sanctionner les entreprises qui continueraient à fermer les yeux sur des approvisionnements liés au travail forcé des Ouïghours. Ces mesures interviennent peu après la conclusion d’un accord de principe fin décembre 2020 entre la Chine et l’Union européenne (dont le Royaume-Uni ne fait plus partie) dont les négociations ont été bâclées sur la fin en raison de la fin de la présidence allemande de l’Union européenne au 31 décembre 2020 et de l’investiture imminente de Joe Biden. Malgré sept ans de négociation, cet accord est dépeint comme une coquille vide, faute de garanties concrètes sur les droits humains, la Chine s’étant vaguement engagée à ratifier les conventions de l’Organisation Internationale du Travail. De plus, la ratification et l’application des mesures semblent utopistes puisque la ligne du président Xi Jinping a toujours été de refuser de céder aux injonctions occidentales, qui sont d’ailleurs non contraignantes en raison du veto que possède la Chine au sein de l’ONU.
L’inflexibilité à toute épreuve du gouvernement chinois
Face aux accusations du monde entier et aux preuves de plus en plus accablantes (fournies notamment par des membres du régime communiste chinois), le Beijing nie en bloc. Les autorités chinoises maintiennent que les sanctions prises à l’encontre de la Chine ne sont basées que sur de la désinformation et affirment qu’il n’y a ni camp d’internement ni ouïghour détenu ou contraint au travail forcé. Officiellement, la politique chinoise n’a pour seul objectif la lutte contre le terrorisme et le séparatisme. Pour justifier le déplacement des ouïghours à travers le pays, le gouvernement chinois n’hésite pas à avancer un « transfert de forces excédentaires » du Xinjiang vers d’autres contrées chinoises en vertu de la lutte contre la pauvreté. Mais si la Chine ne veut pas en démordre, c’est aussi car Xi Jinping a un projet qui lui tient particulièrement à cœur : les nouvelles routes de la soie qui placent en son centre stratégique le Xinjiang, carrefour des grandes routes commerciales eurasiatiques et regorgeant de richesses naturelles.
L’immobilisme international volontaire des plus grandes puissances occidentales et orientales et la faiblesse des initiatives proposées jusque-là pour freiner le pire crime contre l’humanité du 21ème siècle à ce jour, démontre que la Chine est de plus en plus puissante et incontournable économiquement. La conjonction de complicités entre dirigeants des entreprises européennes, des dirigeants européens et des pays musulmans permet au génocide de perdurer en toute impunité. Il serait ainsi grand temps que le monde occidental, si les pays musulmans n’en ont pas la force économique, de défendre concrètement leurs valeurs en infligeant en tir groupé des sanctions économiques fortes ou en se résignant à entrer dans un véritable conflit politique.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 04/02/2021.