Pendant que Al-Sissi, président égyptien et dictateur préféré de Donald Trump renforce sa mainmise sur le pouvoir en emprisonnant, condamnant et torturant les dissidents du régime, les Occidentaux poursuivent les accords commerciaux – notamment de vente d’armes – avec le régime en place.
Une accession au pouvoir sanglante
Après avoir réclamé et obtenu le départ de leur président en place depuis trois décennies, Hosni Moubarak, lors du printemps arabe, le peuple égyptien s’est vu arracher par Abdel Fattah Al-Sissi, son président élu démocratiquement, Mohamed Morsi, après seulement une petite année au pouvoir. Cet ex-docteur en ingénierie spatiale qui a travaillé à la NASA et qui a ensuite choisi de rejoindre les rangs des Frères musulmans est mort en prison quelques années plus tard, après qu’on lui ait refusé les soins nécessaires au traitement de son diabète et hypertension. L’arrivée au pouvoir par ce putsch militaire sanglant de Abdel-Fattah Al-Sissi donnait donc déjà le ton. Après s’être promu maréchal, il est « élu » en 2014 avec un score annoncé de 97% des suffrages puis à nouveau en 2018 avec un score aussi discutable. Sissi a ensuite consciencieusement poli la constitution égyptienne à son avantage, notamment en lui permettant de prolonger sa présidence aux allures de règles jusqu’en 2034. Il accorde à son armée, qui selon les textes amendés, constitue le « gardien, le protecteur de l’État, de la démocratie, de la nation », un veto notamment sur les nominations des ministres. Une nouvelle loi en date de juillet 2020 décerne au Conseil suprême des Forces armées (CSFA) le pouvoir de validation des nouveaux candidats à l’élection présidentielle.
Un régime ultra répressif
Sous Sissi, l’Égypte est devenue l’une des Nations qui exécuterait le plus. En 2020, 90 condamnés à mort auraient été pendus ou fusillés. Le nombre de prisonniers politiques est estimé à 60 000 personnes dont un très faible nombre de vrais islamistes mais une majorité de laïques, universitaires, avocats, défenseurs des droits de l’Homme et mêmes des membres de la communauté LGBTQ+, ou encore des filles ou femmes qui publient des vidéos d’elles-mêmes en train de danser sur TikTok. Outre le traditionnel motif d’incitation à la débauche et d’atteinte aux bonnes mœurs, leur motif d’inculpation favori est l’accusation de terrorisme, très utilisé également par le régime chinois, car il permet à la fois de tenir l’opposition muselée et également de montrer un visage rassurant aux pays occidentaux, car prônant la sécurité par la lutte anti-terroriste. D’autres motifs sont également invoqués, notamment envers des cibles plus difficiles à atteindre. C’est pour le motif de diffusion de fausses informations que l’IERP, ONG à la pointe de la défense des droits de l’Homme en Égypte et le CIHRS (Institut du Caire pour les études sur les droits de l’Homme) sont inlassablement prises pour cible par Sissi et ses bras droits. En sus de leur peine de prison, ils se voient imposés par un tribunal du terrorisme une interdiction de voyager, un gel de leurs avoirs personnels, une inéligibilité à une fonction publique durant 5 ans. Parmi ces personnes figure Abdel Moneim Aboul Fotouh, ancien candidat à la présidence qui avait remporté la quatrième place au premier tour des élections présidentielles d’Égypte en 2012, seule élection libre et démocratique depuis l’indépendance de l’Égypte. Non content de cibler des innocents, le régime mené par Sissi n’hésite pas à emprisonner et torturer des proches des personnes étiquetées comme opposants politiques ou terroristes. Proche des cercles intégristes salafistes et lui-même d’une piété ostentatoire, Sissi a également donné l’ordre de pratiquer des tests de virginité sur des centaines de manifestantes afin de faire peur aux femmes qui auraient envie de se lever contre le régime. Afin de boucler la boucle autoritariste, des dizaines de médias indépendants ont été réduits au silence. En parallèle, la surveillance étatique étant le point d’orgue des autocraties, le régime Sissi a mis l’accent sur l’utilisation de technologies européennes de surveillance lui permettant d’espionner toute conversation en Égypte et de contrôler des appareils à distance. Voulant éviter que l’histoire de 2011 se répète, le président égyptien a pris garde à ne pas sous-estimer la puissance des réseaux sociaux qu’il considère comme les plus grands agents déstabilisateurs du XXIème siècle en créant des unités pour les contrôler. Une loi passée en 2018, sous couvert de lutte contre la cybercriminalité, a entériné la surveillance systématique des réseaux sociaux ainsi que la fermeture des sites Internet considérés comme dangereux par le régime.
Tapis rouge déroulé par la France
Après une escorte à cheval en grandes pompes du président Al-Sissi jusqu’à l’Élysée, Emmanuel Macron a décerné à Al-Sissi la grande croix de la Légion d’honneur, plus haute distinction française, lors de la visite d’État du raïs égyptien à Paris en décembre dernier. Le partenariat volontairement protégé par l’Élysée est en réalité « stratégique » selon les mots du Président. En effet, outre le fait que l’Égypte contrôle le canal de Suez, voie navigable hautement stratégique, un projet de métro dans la capitale égyptienne, la vente de 24 avions de combat Rafale depuis 2015 et d’autres matériels militaires font de l’Égypte un client que l’État français ne peut bouder. Alors que le président français avoue avoir eu des « discussions très franches » avec le président ivoirien Alassane Ouattara et guinéen, Alpha Condé, au sujet de leurs mandats à rallonge, il se montre beaucoup plus précautionneux à l’égard de l’Égypte en se tenant à une position de non-ingérence : « ce n’est pas à moi de dire : la Constitution doit prévoir x ou y mandat ». Au-delà des plans de la défense et de l’économie, le risque encouru par les Etats européens dans l’hypothèse où une nouvelle crise au Moyen-Orient éclaterait, et notamment au cœur de l’Égypte, est trop grand. La crise migratoire subséquente à un bouleversement politique en Égypte serait en effet dramatique pour les économies européennes, et d’autant plus après que la crise de la Covid-19 les ait fragilisés.
Explosion de la démographie et querelle sur le Nil, défis égyptiens majeurs
En plus de subir le régime policier de Sissi, les Égyptiens doivent faire face à d’autres défis et de crises. Tout d’abord, le problème démographique devient alarmant. Outre le fait que le système de santé égyptien n’a pas les moyens suffisants pour faire face à la pandémie, l’explosion démographique qu’a connu l’Égypte ces dernières décennies empire la situation sanitaire et sociale. En effet, l’Égypte est aujourd’hui le pays le plus peuplé du Moyen-Orient, avec plus de 100 millions de personnes contre 30 millions en 1965, qui plus est, répartis sur la vallée étroite du Nil et son delta qui représente 5% de la superficie du pays. Au vu du taux de natalité égyptien et malgré les campagnes de contrôle de naissance menées par les imams d’État, le pays pourrait doubler sa population en moins d’une génération. Pour toutes ces raisons, la question de la gestion controversée du barrage de la renaissance éthiopienne qui menace dangereusement la part de l’Égypte dans l’approvisionnement en eau du Nil est fondamentale. L’Égypte dépend en effet à plus de 90% du Nil pour ses besoins hydriques. Donald Trump, en octobre dernier, avait soutenu officiellement l’Égypte dans l’éventualité où celle-ci bombarderait l’Éthiopie pour protéger sa chasse gardée sur le Nil. Alors que Le Caire fait valoir les droits égyptiens issus de l’accord de 1959 conférant 75% de l’eau du Nil à l’Égypte et 25% au Soudan, Addis-Abeba, le balaie d’un revers de main estimant que l’égalité des droits pour les pays impliqués dans l’accord du Nil doit être préférée.
En raison de l’escalade de la violence provoqué par le régime Sissi, les Occidentaux ainsi que les États-Unis ne semblent plus prêts à fermer les yeux sur les agissements en Egypte. Joe Biden, président fraîchement élu a en effet annoncé qu’il adopterait une position plus dure que son prédécesseur sur les questions des droits de l’Homme en Égypte. La situation en Égypte appelle sans conteste une réaction urgente tant le terreau est fertile pour l’installation du véritable terrorisme. Joe Biden, plus d’un mois après son investiture n’a d’ailleurs toujours pas daigné appeler le « dictateur favori » de Donald Trump !
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 10/02/2021.