Une guerre clandestine déplacée en mer
Une guerre de l’ombre se joue depuis près de 40 ans entre Israël, l’Iran et les États-Unis. Ces deux dernières années toutefois, l’arène, qui était surtout aérienne et terrestre, et qui réunissait l’Iran d’une part, et d’autre part la coalition regroupant Israël, les États-Unis et officieusement l’Arabie Saoudite, s’est indéniablement déplacée en mer. Dans ce court laps de temps en effet, l’attaque de navires israéliens et iraniens, en mer Méditerranée ou en mer Rouge, atteste de l’accroissement des tensions entre Israël et son seul grand ennemi au Moyen-Orient : l’Iran. Par ailleurs, l’assassinat du scientifique iranien Mohsen Fakhrizadeh, grand spécialiste des missiles balistiques, le 27 novembre 2020 ainsi que les attaques multiples contre des proxies en Syrie et au Liban affiliées à l’Iran démontrent que la méthode de l’État hébreu consiste non seulement à affaiblir l’Iran mais de surcroît de le pousser à la faute et ainsi l’empêcher de revenir sur la scène internationale. De plus, les récents accords de normalisation entre Israël et certaines pétromonarchies arabes du golfe persique ont créé de facto un front anti-Iranien. Malgré leur récent changement d’administration, les États-Unis, allié de longue date d’Israël, n’ont pas hésité à intervenir en Syrie le 26 février dernier en réponse à des attaques survenues en Irak et menaçant les intérêts occidentaux. Cette première opération militaire « défensive » de l’administration Biden, visant des installations contrôlées par des milices liées à l’Iran a fait pas moins de 17 morts dans le nord-est syrien. Avec ces derniers évènements, l’horizon d’éventuelles négociations incontestablement s’obscurcit.
De la « pression maximale » au « Grand Bargain »
L’arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis a marqué un tournant décisif dans la gestion de la crise au Moyen-Orient. Alors que Donald Trump offrait un soutien indéfectible à la politique dure de Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien en fonction depuis douze ans, Joe Biden, quant à lui, s’est volontairement éloigné de la ligne de son prédécesseur. En effet, depuis son arrivée au pouvoir le 20 janvier dernier, Joe Biden semble faire de la renégociation de l’accord de Vienne, que son prédécesseur avait quitté avec fracas en mai 2018, l’un de ses principaux objectifs de son mandat. Toutefois, le président américain n’a toujours pas explicité clairement les détails de sa vision du dossier iranien, ni décidé d’enclencher les négociations ou encore de revenir sur les sanctions trumpiennes. Or, l’issue de cette guerre secrète Iran-Israël ne sera véritablement tranchée que par une décision politique de Washington. Cependant, la transition entre la fin de la politique de « pression maximale » et la renaissance du JCPoA se fait trop lentement aux yeux de l’Iran, qui, inflexible, a repris au début de l’année l’enrichissement nucléaire au-delà des limites imposées par le JCPoA, dans l’attente de la réintégration de Washington dans l’accord en plus de la levée intégrale des sanctions pesant sur son économie. Malgré la résilience iranienne permise notamment grâce à des partenariats économiques avec la Chine, le président modéré Hassan Rohani, en fonction depuis 2013, semble conscient du fait que l’Iran a besoin de faire renaître le JCPoA afin de retrouver sa croissance économique, et ce même si la méfiance envers les États-Unis est encore vivace. Le président iranien sait également que la volonté de l’Iran de traiter de la question seule du JCPoA ne sera pas respectée si les sujets de l’influence régionale de l’Iran, de l’enrichissement du nucléaire iranien, du programme balistique, et des milices régionales ne seront pas traités. La frilosité des États-Unis quant à cette question, reprochée par l’Iran et considérée comme hautement suspecte, s’explique toutefois par le refus américain de faire de l’Iran le chef d’orchestre des négociations mais également par la peur de provoquer l’ire de ses alliés au Moyen-Orient soit les pétromonarchies sunnites du Golfe Persique et Israël. Ainsi, alors qu’Israël s’apprête à lancer ses élections législatives et l’Iran ses élections présidentielles en juin prochain, le compte à rebours est lancé. En effet, l’arrivée au pouvoir probable des conservateurs en Iran en raison de la délégitimation des modérés, jugés naïfs vis-à-vis des États-Unis, corserait les négociations, les conservateurs étant beaucoup moins enclins au dialogue avec l’administration américaine que les modérés.
Ainsi, face à l’escalade des tensions entre Israël et l’Iran, l’administration Biden devra rapidement assumer une position dans ce rapport de force car le temps ne joue pas en la faveur de la résurrection du JCPoA.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru le 24/03/2021.