Une omniprésence dévastatrice pour l’environnement et les populations locales
Le gouvernement chinois œuvre depuis quelques années à étendre la présence de sa flotte maritime sur tous les océans du monde. Pour mener à bien cette politique expansionniste, la Chine a développé, à coups de dizaines de milliards de subventions publiques, une frénésie de construction navale, en se créant la plus grande flotte au monde de pêche. L’objectif de la Chine est de réunir 400 navires de guerre d’ici 2025, ce qui leur permettra de dépasser la flotte américaine qui ne détient que 355 navires de ce calibre. Toutefois, notons que même si le nombre de navires est plus important côté chinois, la U.S. Navy n’a pas perdu son rang de première force de combat maritime au monde en raison de sa domination technologique persistante grâce à des bâtiments plus lourdement armés (destroyers, croiseurs à missiles guidés) et au tonnage plus important. Bien que la Chine ait concentré ses efforts sur la mer de Chine méridionale, en raison de son système écologique ultra riche, l’armada de bateaux de pêche industrielle chinoise opère aussi dans les eaux africaines et sud-américaines avec le même modus operandi. En effet, appliquant la méthode du chalutage pour aspirer les fonds marins, au mépris des réglementations de pêche appliquées par les différents pays pillés, la flotte chinoise épuise systématiquement les stocks de poissons disponibles partout où elle passe. C’est ainsi que 70% des stocks de calamar dans les eaux nord-coréennes ont par exemple été balayés par les pêcheurs chinois. Par ailleurs, des pays africains tels que le Nigeria, le Liberia et le Sierra Leone ou d’Amérique du Sud comme l’Argentine, fragilisés par une mauvaise gouvernance et une corruption systémiques, ont également fait les frais de la politique agressive du gouvernement chinois. Au-delà de la catastrophe environnementale pour la faune marine – et notamment des espèces protégées – qui a été dévastée, les populations locales souffrent également du manque de poissons. Ainsi, dans les zones pillées, des entreprises dont l’activité centrale est la pêche doivent suspendre leur activité en raison de la pénurie de poisson. Pire, ces dernières années, des centaines de bateaux nord-coréens ont été retrouvés échoués sur les côtes japonaises avec à l’intérieur des corps de pêcheurs affamés. Face à ces abus, certains pays réagissent. L’Argentine a par exemple décidé de créer un commandement maritime conjoint pour lutter contre la pêche des chalutiers chinois. En Iran, la situation est plus complexe puisque le gouvernement a admis qu’un bail à long terme avait été consenti aux navires chinois pour opérer dans les eaux iraniennes. Mais au vu de l’intensité de la pêche et ses conséquences pour les ressources halieutiques iraniennes, la République iranienne a mis le holà.
La flotte de pêche chinoise : outil d’influence géopolitique
Bien que les produits de la mer pêchés par la flotte chinoise servent en premier lieu à nourrir une grande population chinoise (1,4 milliard d’habitants), friande de poissons et notamment d’espèces de requins protégés et en second lieu, à être vendus sur le marché international, les pêches hauturières ont de toute évidence une autre finalité. Les tensions qui en découlent révèlent en effet leur dimension hautement stratégique. De nombreux incidents ont eu lieu dans les zones économiques exclusives nationales, avec des bâtiments de différents pays et notamment ces dernières années dans les eaux nord-coréennes, japonaises, vietnamiennes, camourenaises, péruviennes et boliviennes. Ainsi, sous une apparence commerciale, l’armada de pêcheurs chinois qui quadrille la planète est une force civilo-militaire. Constituant de véritables agents paramilitaires à la solde du gouvernement chinois, ils contribuent ainsi largement à l’expansion territoriale souhaitée par la Chine dont l’objectif est de peser et donc d’orienter les accords internationaux régissant les ressources maritimes mondiales. Les États-Unis qui font face à la Chine dans une guerre économique aussi impitoyable que durable, observent avec attention les avancées de la flotte ennemie. Selon, l’amiral Karl Schultz, commandant des garde-côtes des États-Unis : « La pêche INN – pêche illicite, non déclarée et non réglementée – a remplacé la piraterie en tant que principale menace pour la sécurité maritime mondiale. Si la pêche INN se poursuit sans contrôle, nous pouvons nous attendre à une détérioration des États côtiers fragiles et à une augmentation des tensions entre les nations pratiquant la pêche étrangère, menaçant ainsi la stabilité géopolitique dans le monde entier ». Récemment la rencontre entre Joe Biden et Yushihide Suga, Premier ministre japonais, qui constitue la première réception d’un dirigeant étranger par le président américain depuis son investiture, démontre une inquiétude commune des deux puissances face aux agissements du gouvernement chinois. Unis par le Traité de sécurité nippo-américain prévoyant une défense du Japon par les États-Unis en cas d’attaque de sa souveraineté, les deux dirigeants ont évoqué l’aventurisme chinois quotidien via ses bateaux de pêche chinois notamment dans les eaux des îles Senkaku, au sud de l’archipel japonais.
Ainsi, au-delà de l’addition des problèmes environnementaux liés à l’acidification, le réchauffement et la pollution des océans, le problème de surpêche engendre des batailles de la faim en mer, augurant de probables guerres de la faim dans un futur proche si la communauté internationale ne parvient pas à enrayer les abus de la flotte chinoise.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 28/04/2021.