La mort brutale du président tchadien Idriss Déby fin avril, dans un contexte d’exacerbation du terrorisme islamiste au Sahel a plongé le Tchad, dans l’incertitude et l’insécurité et confronte la France à un choix diplomatique et stratégique crucial.
Pour accéder à la présidence tchadienne, Idriss Déby a mené un coup d’État en 1990 qui fut victorieux grâce au soutien logistique discret mais efficace de la France, de la Libye et du Soudan. Les troupes soutenant Déby avaient alors chassé le président Hissène Habré qui avait accédé au pouvoir en 1982, à la suite lui aussi d’un coup d’État. Ce dernier fut ensuite poursuivi pour crime contre l’humanité pour les exactions commises durant son règne au Tchad.
La perpétuation de la “diplomatie en treillis”
Depuis son accession au pouvoir, sous la bénédiction de la France et de ses voisins, Déby a été le faiseur de cartes dans la région. En effet, il pesait sur l’échiquier régional en raison de la puissance de son armée bien formée et importante numériquement (40 000 à 65 000 soldats) et qui dominait militairement ses voisins. Cependant, à la suite d’une embuscade de rebelles, le président tchadien, accompagné de plusieurs de ses généraux, a été pris dans l’assaut et n’a pas survécu.
Le fils du défunt président, Mahamat Idriss Déby, ancien chef de la garde présidentielle du régime, âgé de 37 ans, a repris les rênes quasi-instantanément après le décès de son père en violation des dispositions de la Constitution tchadienne. En effet, l’article 81 de la Constitution tchadienne, abrogé il y a quelques jours, dispose qu’“en cas d’empêchement définitif constaté par la Cour suprême saisie par le gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les attributions du président de la République (…) sont provisoirement exercées par le président de l’Assemblée nationale”. Pourtant, depuis l’annonce du décès, Mahamat Déby dispose des pleins pouvoirs et est à la tête du Conseil militaire de transition composé de quinze généraux fidèles à son défunt père. Le fils Déby a en outre promis la création de nouvelles institutions après des élections “libres et démocratiques” qui auraient lieu dans un an et demi. Cependant, ses détracteurs dénoncent une prise de pouvoir s’apparentant à un “coup d’État institutionnel”.
Soutien inconditionnel de la France et du G5 Sahel au fils Déby
Le Tchad, ancienne subdivision de la colonie française de l’Afrique-équatoriale française, était lié à la France par un accord officieux mais bien visible du temps du président Déby père. En effet, en échange de troupes armées servant pour les guerres régionales, la France offrait un soutien politique, financier et militaire. Au Mali par exemple, les troupes françaises étaient soutenues par les forces armées du président Déby. La France y a également installé le quartier général de Barkhane œuvrant contre les forces djihadistes au Sahel. En échange, la France n’a pas hésité à rendre la pareille en sauvant militairement le régime de feu Idriss Déby, menacé maintes fois par des rebelles djihadistes, notamment en 2006 et 2008. En 2019, l’armée française a même lancé des offensives aériennes contre les colonnes rebelles.
Ce soutien français s’est à nouveau illustré lors des obsèques du président tchadien qui ont eu lieu à N’Djaména en comité restreint fin avril. Au milieu des proches et des leaders de la région, Emmanuel Macron était le seul Occidental parmi la dizaine de chefs d’État de la région qui étaient présents. Son déplacement est d’autant plus pointé du doigt qu’en temps de pandémie mondiale, les visites officielles sont rares. Après avoir glorifié les qualités militaires de son défunt “ami courageux”, en le dépeignant comme un soldat mort au combat, il a explicitement promis de soutenir le Comité militaire de transition dirigée par le fils Déby, afin de “préserver la stabilité” du Tchad dans la lutte contre les terroristes djihadistes au Sahel. Cet adoubement à peine voilé du fils Déby envoie le message que ce dernier pourra compter sur la France en plus du soutien de tout le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger). En effet, ils ont tous promis au jeune dirigeant leur “unité de vue” et leur “soutien commun au processus de transition civilo-militaire pour la stabilité de la région”.
Le Tchad en proie aux tensions internes
La politique de la France depuis la décolonisation en 1960 a privilégié l’aspect militaire, accordant plus d’importance au rôle tchadien de fournisseur de troupes dans la région contre la menace terroriste que le respect des droits humains et de la démocratie. Emmanuel Macron ne diffère ainsi pas de ses prédécesseurs sur le dossier tchadien, malgré la réputation sulfureuse du président tchadien défunt. En effet, il est bien connu que feu Idris Déby était coutumier des pratiques népotiques et claniques, dénoncées depuis longtemps au Tchad et par les observateurs internationaux. Idrissi Oumar Mahamat Saleh, mathématicien tchadien et opposant à Déby père, avait par exemple disparu corps et biens en 2008. Le défunt président était également étonnamment réélu à un taux constant de 80 %.
La France agit également de la sorte par crainte que le décès du président tchadien ne provoque la rupture de la digue contre le terrorisme dans la région, dans un contexte déjà tendu au niveau intérieur. En effet, les manifestations contre la junte militaire ont fait une dizaine de morts et deux stations Total ont été vandalisées récemment. La situation économique désastreuse du pays est une des causes de l’exaspération de la jeunesse tchadienne qui n’a connu que la présidence Déby. En réaction aux heurts, deux semaines après la mort du président, la junte a nommé début mai un gouvernement de transition comprenant notamment Saleh Kebzabo, l’un des principaux opposants au maréchal Déby, pour calmer les tensions.
Un tournant décisif
La mort du président tchadien change la donne et pourrait permettre de changer de cap dans le pays, et plus largement dans la région, grâce à l’établissement d’un dialogue. La France pourrait utiliser son soutien militaire pour mettre une pression politique à la junte militaire au pouvoir et ainsi forcer une reconversion démocratique du Tchad. Si la France signait en revanche le même accord qu’avec Idriss Déby, une nouvelle dynastie débuterait et ne prendrait probablement pas fin avant le décès du fils Déby ou un coup d’État.
Pour l’instant, le rappel que Paris ne soutiendra qu’une transition “démocratique et inclusive” ne convainc personne. En effet, les déclarations timides du président français aux obsèques de Déby et celle de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, qui appelle les nouveaux dirigeants à “mettre en œuvre un processus démocratique le plus rapidement possible” démontrent que la France gardera probablement la même ligne de conduite. Le Tchad est ainsi le révélateur de la difficulté de réforme de la politique française paternaliste voire coloniale vis-à-vis de l’Afrique et expose au grand jour le choix de l’État français de préserver ses intérêts militaires et stratégiques au détriment de la défense de la démocratie et des droits de l’Homme.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 26/05/2021.