La monarchie saoudienne a été fondée en 1932 par Ibn Saoud en s’appuyant sur la puissance de la famille Saoud et le courant islamique wahabbiste. Alliée historique des États-Unis depuis 1945 après l’entente du Quincy, sa politique extérieure a été largement influencée par sa position dominante dans les ressources pétrolières abondantes et sa mainmise sur les deux lieux saints de l’islam. Mais de cette force tirée de l’or noir découle la plus grande faiblesse du royaume, à savoir sa grande dépendance à l’égard de cette énergie fossile. En effet, avec la baisse des cours du pétrole depuis 2009, qui a été accentuée en 2014, les recettes tirées de l’exportation de pétrole s’amoindrissent et le modèle de l’État-providence à la saoudienne est remis en question.
“Avec la baisse des cours du pétrole depuis 2009, qui a été accentuée en 2014, les recettes tirées de l’exportation de pétrole s’amoindrissent et le modèle de l’État-providence à la saoudienne est remis en question”
Ainsi, le 25 avril 2016, Mohammed Ben Salmane al Saoud (dit MBS), alors vice-prince héritier de l’Arabie saoudite, lance le plan “Vision 2030” qu’il présente comme un plan stratégique “ambitieux mais réalisable”. Tourné vers le développement dynamique et divesifié de l’économie saoudienne, le plan Vision 2030 est pensé pour faire sortir le royaume de sa dépendance au pétrole. Un an plus tard, en 2017, MBS est nommé prince héritier du Royaume par son père, le roi Salmane, juste après que le Conseil des affaires économiques saoudien ait présenté les 12 programmes opérationnels (Vision Realization Programs) portant le plan Vision 2030, qui s’articule autour du triptyque économique, social et politique.
Moins de subventions, plus de mégaprojets
La Vision 2030 vise à réduire les dépenses publiques du royaume et à augmenter les recettes non issues de l’exploitation de ses sites pétroliers, afin d’autonomiser les jeunes générations dans un État où les moins de 35 ans représentent 70 % de la population. À cet effet, le gouvernement saoudien a déjà commencé à réduire les subventions à la consommation d’électricité et d’eau, et à arrêter le versement des allocations mensuelles aux citoyens, tout en augmentant les prix du carburant de près de 40 % et en triplant la taxe sur la valeur ajoutée à hauteur de 15 %. Le financement de ce plan, qui coûtera 3 200 milliards de dollars d’ici 2030, se base sur le fonds souverain PIF (Public Investment Fund) à hauteur de 800 milliards, 1 000 milliards par les 24 plus grandes entreprises saoudiennes et également sur la vente de 5 % de Saudi Aramco, le leader pétrolier mondial, dont la valeur est estimée à 2 000 milliards de dollars.
“Le gouvernement saoudien a déjà commencé à réduire les subventions à la consommation d’électricité et d’eau, et à arrêter le versement des allocations mensuelles aux citoyens, tout en augmentant les prix du carburant de près de 40 % et en triplant la taxe sur la valeur ajoutée à hauteur de 15 %”
Les secteurs visés prioritairement par les réformes de ce plan sont d’abord le secteur financier et touristique. L’accent est également mis sur les industries innovantes telles que les énergies renouvelables, notamment le solaire et le gaz naturel, et sur des mégaprojets à l’instar de la mégalopole Neom de 26 000 km2, en construction sur les rives de la mer Rouge, qui est présentée comme l’équivalent régional de la Silicon Valley. Par ailleurs, le gouvernement saoudien mise sur les privatisations, notamment des services de l’eau et des minoteries, la promotion des entreprises nationales et le développement des partenariats public-privé de type BOO (Build, Operate, Own) et BOT (Build, Operate, Transfer) dans le secteur de l’eau et des énergies renouvelables.
“La mégalopole Neom de 26 000 km2, en construction sur les rives de la mer Rouge, est présentée comme l’équivalent régional de la Silicon Valley”
De plus, les efforts sont également portés à la qualité des soins de santé et de l’éducation pour “donner aux jeunes les compétences nécessaires aux emplois de demain”, et créer un environnement attrayant pour les investissements étrangers. Enfin, le chômage est dans la ligne de mire de la pétromonarchie en raison de la baisse de la qualité de vie qui y est associée. Fin 2020, le taux de chômage des moins de 25 ans était de 28 % et celui des femmes de 25 %, alors que le prince vise 7 % pour 2030. Ce chômage, devenu endémique en Arabie saoudite, résulte de la faiblesse du secteur privé saoudien, que le gouvernement tente renforcer en valorisant les entreprises privées. Alors que le royaume figure parmi les pays du G20 à avoir le mieux géré les répercussions de la pandémie de la Covid-19 au niveau économique, il souffre néanmoins de la baisse de la demande de brut. Il est donc d’autant plus contraint de réexaminer ses prévisions et de renforcer davantage le processus de sevrage vis-à-vis de l’or noir porté par Vision 2030.
Changement d’image en cours
Des changements profonds ont été observés dans les mœurs du royaume avec notamment la réduction des pouvoirs de la police religieuse et la disparition de l’obligation d’entrées séparées selon le sexe, la création du droit de conduire pour les femmes en 2018, l’abolition des lois de tutelle des femmes pour renforcer notamment leur présence sur le marché du travail. La jeunesse saoudienne commence à vivre à l’occidentale et à profiter de concerts de musique, de festivals de comédie, de cinéma et de musique ou encore des compétitions féminines de sport. Pour inciter les touristes occidentaux à venir visiter le pays, ils sont exemptés de visa et les couples non mariés sont autorisés à louer des chambres d’hôtel.
“Pour inciter les touristes occidentaux à venir visiter le pays, ils sont exemptés de visa et les couples non mariés sont autorisés à louer des chambres d’hôtel”
MBS tente en parallèle de réhabiliter l’image de l’Arabie saoudite au niveau international en invitant les figures importantes des religions monothéistes (rabbins juifs, prédicateurs chrétiens) et en clamant son envie de dialogue. Mieux encore, le prince héritier a exprimé sa volonté d’un retour à l’islam modéré de l’Arabie saoudite d’avant 1979, date de la révolution islamique iranienne qui a initié une accentuation du rigorisme religieux : “Nous vivions normalement comme les autres pays du Golfe. Les femmes conduisaient, il y avait des cinémas en Arabie saoudite. Les femmes travaillaient partout. Nous étions tout simplement des gens normaux, se développant comme tout autre pays dans le monde jusqu’aux événements de 1979”. La stratégie de MBS semble fonctionner au niveau diplomatique puisqu’Emmanuel Macron, fin 2020 affirmait que la France soutenait “la stratégie de développement du prince héritier définie dans sa Vision 2030” et saluait “son discours sur l’ouverture de son pays et l’appui à un islam modéré”.
Une Vision 2030 parmi d’autres
La Vision 2030 de MBS est loin d’être le premier essai pour enclencher la transition économique du royaume, et il n’est pas unique au niveau régional. En effet, les Émirats arabes unis ont leur “Vision 2021”, le Qatar une “Vision nationale 2030”, le Koweït une “Vision 2035” et Oman une “Vision 2040”, ce qui est bien la preuve que tous les membres du Conseil de coopération des États du Golfe désirent se sevrer de leur dépendance aux énergies fossiles. Mais l’Arabie saoudite doit prendre garde à ne pas tomber dans son écueil habituel de se lancer dans des mégaprojets qui n’aboutissent souvent pas, à dépenser sans compter dans le volet militaire et à investir imprudemment dans des secteurs volatiles comme le tourisme, car ces mauvaises décisions empêchent le royaume de régler des problèmes endémiques tels que le chômage et les déficits publics qui font fuir les investissements étrangers directs.
“La Vision 2030 de MBS n’est pas unique au niveau régional. Les Émirats arabes unis ont leur “Vision 2021”, le Qatar une “Vision nationale 2030”, le Koweït une “Vision 2035” et Oman une “Vision 2040”
Ainsi, les frasques du prince ces dernières années, doublées du manque de transparence habituel sur les politiques menées contribuent à rendre méfiants les investisseurs étrangers. L’Arabie saoudite devrait se concentrer au contraire sur le fait de créer un avantage concurrentiel régional en matière de recherche et d’enseignement supérieur ou encore de santé au lieu de persister à miser tous ses pions sur des mégaprojets.
Par Ardavan Amir-Aslani et Inès Belkheiri.
Publié dans Le Nouvel Economiste du 02/06/2021.