Le miracle diplomatique se produira-t-il une seconde fois ? Après des mois de difficiles négociations sur le contenu du nouvel accord sur le nucléaire iranien, les diplomates des pays signataires ont unanimement estimé qu’une signature prochaine était possible. Jamais, depuis avril 2021, le climat n’avait été si optimiste. Lundi, l’équipe iranienne a transmis sa contre-proposition à l’Union européenne, qui l’a jugée constructive. Tout dépend désormais de l’administration Biden, qui étudie les détails techniques de cette version finale et doit transmettre sa réponse dans les prochains jours. Sans entrer dans le détail du contenu, le Département d’Etat américain convenait que l’essentiel des problématiques était désormais réglé, rendant le texte proche des objectifs américains. Le marché des hydrocarbures semble d’ailleurs anticiper la possible normalisation des relations irano-américaines, puisque dans la perspective d’un retour du pétrole iranien sur la scène internationale, le cours du brut était à son plus bas niveau depuis six mois en début de semaine.
Les négociateurs iraniens, en concertation avec le Conseil suprême de Sécurité nationale et le Parlement iranien, ont amendé le texte européen et formulé d’ultimes demandes : l’établissement de compensations financières dans le cas où les Etats-Unis se retireraient une nouvelle fois de l’accord, ainsi qu’une disposition autorisant l’Iran à reprendre immédiatement son enrichissement d’uranium si ce cas de figure se représentait.
Du point de vue de Téhéran, ces exigences sont légitimes : alors qu’il respectait l’accord de Vienne, l’Iran a dû subir le retrait illégal des Etats-Unis du traité en mai 2018 et des sanctions qui ont lourdement handicapé son économie, freinant ses exportations et les investissements étrangers dans le pays. La méfiance intrinsèque du régime envers les Américains, nourrie par l’idéologie de la Révolution islamique, s’est trouvée justifiée par la « pression maximale » et n’a fait que s’accroître avec le retour des conservateurs au pouvoir à Téhéran.
Depuis plusieurs mois, les Occidentaux apparaissent comme les plus pressés de faire signer un nouvel accord à l’Iran, tant ils sont inquiets de ses progrès en matière nucléaire. Mais Téhéran n’a eu, et n’a toujours, aucun intérêt à céder à l’affolement, malgré les difficultés économiques – qu’il parvient quelque peu à surmonter grâce à la remontée des cours du brut et à la demande chinoise. Entretenir des incertitudes et user d’une « patience stratégique » fait, depuis le début, partie de la stratégie iranienne afin d’obtenir toujours plus de concessions et de garanties de la part des autres signataires et de l’AIEA. De fait, la méthode fonctionne puisque les négociations, en dépit des avertissements américains, n’ont jamais été définitivement abandonnées depuis leur reprise en avril 2021, alors même que le droit de regard de l’agence atomique a été considérablement réduit. Chaque demande de garanties représente ainsi une opportunité pour Téhéran d’exacerber les tensions au sein de l’administration Biden, entre tenants d’une signature rapide et contempteurs d’une entente avec l’Iran, lui permettant d’obtenir davantage en échange de peu.
Si le contenu exact du nouvel accord reste encore flou, il n’imposera probablement pas à l’Iran de revenir totalement sur ses avancées technologiques en matière nucléaire, un acquis qui constitue une question de sécurité nationale et de souveraineté. Si l’ambition de Téhéran était de devenir un « Etat du seuil » afin d’obtenir un pouvoir de dissuasion, l’objectif est atteint et sans retour en arrière possible.
De la plus extrême (bombarder l’Iran) à la plus souhaitable (l’inciter à encadrer son développement nucléaire en échange d’avantages économiques), en passant par un bancal statu-quo (reconnaître à l’Iran le statut d’Etat du seuil sans parvenir à un accord nucléaire), les options sont donc réduites pour la diplomatie occidentale. Il est certain que seul un accord permettrait d’apaiser les tensions au Moyen-Orient, y compris chez les alliés des Etats-Unis les plus rétifs à cette idée. A Washington comme à Téhéran, ce texte est nécessaire : pour Joe Biden, afin d’obtenir une victoire diplomatique salutaire à quelques mois d’une difficile échéance électorale ; pour le régime iranien, afin de sortir de l’isolement économique et d’apaiser une population qui ne songe qu’à l’exil.
A cet égard, beaucoup s’interrogent néanmoins sur la pertinence d’un accord qui ne serait peut-être viable que durant deux ans, soit jusqu’à la fin du mandat de Joe Biden en 2024. Un délai certes court avant une éventuelle alternance politique à Washington… mais suffisant pour permettre à l’Iran de récupérer ses réserves de change, évaluées à 100 milliards de dollars, afin d’investir dans l’économie et de mettre en œuvre des mesures sociales. Face à la crise économique qui a porté l’inflation à plus de 60%, du jamais vu depuis la Révolution islamique de 1979, l’urgence est désormais de répondre aux préoccupations quotidiennes du peuple iranien afin de garantir la stabilité du régime.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 21/08/2022.