Depuis leur reprise en avril 2021, les négociations sur le nucléaire iranien ont épuisé maints diplomates et analystes tant elles ont illustré l’art difficile du compromis et du rapport de forces. On ne compte plus les épisodes, les rebondissements, les pas en avant pour trois pas en arrière. Le fait est que l’administration Raïssi, élue deux mois après la reprise des échanges à Vienne, avait refusé dès son arrivée au pouvoir de faire de la renaissance du Joint Comprehensive Plan of Action le cœur de son mandat. L’accord est en effet perçu de manière extrêmement négative par les conservateurs iraniens, qui le considèrent comme une preuve tangible du manque de fiabilité des Américains, peu empressés de répondre à leurs engagements (même après 2015), ou de normaliser leurs relations avec l’Iran, en dépit des arguments de campagne de Joe Biden.
La “patience stratégique” ne paie pas
Ces négociations interminables ont surtout été l’occasion pour chacun des adversaires de tester sa “patience stratégique” afin d’infléchir le rapport de forces en sa faveur. L’urgence semblait au cœur des objectifs des Occidentaux, avant tout préoccupés (à raison) de contenir les progrès nucléaires de l’Iran. Pour Téhéran au contraire, l’urgence n’était plus de mise ni sur le plan économique, ni sur le plan diplomatique grâce à ses partenaires stratégiques en Asie. Autant tenter d’obtenir davantage en échange de peu.
“L’urgence semblait au cœur des objectifs des Occidentaux, avant tout préoccupés (à raison) de contenir les progrès nucléaires de l’Iran. Pour Téhéran au contraire, l’urgence n’était plus de mise ni sur le plan économique, ni sur le plan diplomatique grâce à ses partenaires stratégiques en Asie”
La stratégie a semblé payante au mois d’août 2022, lorsque les négociateurs se sont dits très proches d’un texte définitif satisfaisant toutes les parties. L’optimisme était tel que le marché de l’énergie semblait anticiper une signature prochaine entre Occidentaux et Iraniens, avec une baisse du cours du brut. Si Téhéran avait dû renoncer à sa demande concernant le retrait des gardiens de la révolution de la liste des organisations terroristes, il semblait en passe d’obtenir des garanties cruciales concernant le futur accord (compensations financières en cas de nouveau retrait des États-Unis, droit de reprendre l’enrichissement d’uranium si le cas de figure se présentait). L’automne a douché ces espoirs, entre les débuts d’une insurrection en Iran et la perspective des élections de mi-mandat aux États-Unis, qui ont gelé toute discussion viennoise dans un attentisme délétère.
Iran, un “Etat de seuil”
Car bien que Téhéran s’enfonce dans la récession et la crise sociale, poursuive son programme nucléaire et s’affranchisse du texte initial de l’accord de Vienne, nul parmi les signataires ne s’est encore risqué à acter la mort clinique du JCPoA. On pourrait s’en étonner. Robert Malley, envoyé spécial des États-Unis pour l’Iran, doutait publiquement de la possibilité de réactiver les négociations dans ce contexte très particulier. On voit en effet le régime iranien sombrer dans la radicalisation et la fuite en avant, entre un rapprochement pro-russe qui l’isole encore davantage sur la scène internationale, une répression de sa population en révolte et une profonde défiance envers les Occidentaux et leurs agences comme l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). Pour ces derniers, il est désormais urgent d’attendre. Or, rien ne saurait être plus faux.
“La situation sociale de l’Iran ne change rien aux urgences diplomatiques et à un constat : de par ses progrès technologiques, il est devenu un “État du seuil”, un statut irréversible pour une simple question de souveraineté nationale. À chaque résolution critique de l’AIEA, Téhéran riposte par une entorse supplémentaire à ses engagements nucléaires”
En effet, la situation sociale de l’Iran ne change rien aux urgences diplomatiques et à un constat : de par ses progrès technologiques, il est devenu un “État du seuil”, un statut irréversible pour une simple question de souveraineté nationale. À chaque résolution critique de l’AIEA, Téhéran riposte par une entorse supplémentaire à ses engagements nucléaires – reprenant ainsi son enrichissement d’uranium sur le site de Fordow alors qu’il s’en était abstenu entre 2015 et 2018 en respect de l’accord de Vienne. Sur le Moyen-Orient et sur le monde pèse donc le risque très réel d’une crise nucléaire de grande ampleur.
Indispensable changement de stratégie
Depuis les débuts des manifestations en Iran et la sanglante répression qui ne fait que s’accentuer, les Occidentaux hésitent entre l’attentisme ou une nouvelle campagne de “pression maximale”, assortie de sanctions économiques et d’isolement renforcé pour l’Iran, dans l’espoir de faire enfin tomber la République islamique. Mais le risque de l’attentisme est de renforcer l’axe russo-iranien qui générera une crise bien plus large. Quant aux sanctions, elles ont prouvé leur inefficacité en rimant avec radicalisation du régime et prolifération nucléaire. Il serait par ailleurs irréaliste d’imaginer à court terme une transition démocratique pacifique en Iran, qui permettrait de solutionner cette crise.
“Une politique du “donnant-donnant” ne normalisera pas à elle seule les difficiles relations irano-américaines. Mais elle permettra a minima de sortir de la stagnation et d’éviter un potentiel conflit entre les deux pays”
Un changement de stratégie est donc indispensable pour sortir le dossier du nucléaire iranien de l’impasse, et la seule voie avant le point de non-retour passera inlassablement par la diplomatie. Si la restauration de l’accord de 2015 paraît hors d’atteinte, des concessions progressives demeurent possibles : inciter l’Iran à renouer le dialogue avec l’AIEA et lui ouvrir ses sites pour inspection, en échange de la levée des sanctions économiques les plus handicapantes pour son commerce extérieur (en lui permettant par exemple de commercer sans peine avec ses voisins, l’Irak, les Émirats ou même la Chine). Après tout, l’administration Biden a suivi une stratégie similaire avec le Venezuela dans le but de réguler le marché énergétique. Une politique du “donnant-donnant” ne normalisera pas à elle seule les difficiles relations irano-américaines. Mais elle permettra a minima de sortir de la stagnation et d’éviter un potentiel conflit entre les deux pays.
Par Ardavan Amir-Aslani.
paru dans Le Nouvel Economiste du 13/12/2022.