Personne ne peut rester indifférent face au déferlement d’horreurs qu’a connu Israël le 7 octobre dernier. De la même façon, personne ne peut ignorer le carnage à Gaza. Chacun peut avoir son idée sur le conflit israélo-palestinien et sur la légitimité du combat des Palestiniens pour avoir un État bien à eux. En revanche, qu’un camp ou l’autre veuille imposer ses mots et son récit quant aux événements des cinq derniers mois est inadmissible, pour ne pas dire insupportable. Le comble de cette dictature de la pensée unique est arrivé avec la déclaration ahurissante d’Aurore Bergé, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui a dit vouloir couper les subventions aux associations qui n’adhéreraient pas au récit israélien de la tragédie du 7 octobre dernier et des événements qui s’en sont suivis. On se croirait en Corée du Nord et non pas à Paris.
Du mauvais usage du mot “terroriste”
Ce choix des mots est devenu un enjeu politique majeur. Cela a commencé avec le Premier ministre israélien et son ministre de la Défense qui ont qualifié le Hamas d’organisation terroriste et d’animaux, en cherchant à les déshumaniser. Ils ont ainsi fait abstraction de l’occupation israélienne de la Palestine et des conditions de vies des Palestiniens à Gaza, véritable camp de concentration d’après la définition communément admise du Larousse, c’est-à-dire un lieu où “sont rassemblés, sous la surveillance de l’armée ou de la police, soit des populations civiles de nationalité ennemie, soit des minorités ethniques ou religieuses, soit des prisonniers de droit commun ou des détenus politiques”.
“Au passage, Nelson Mandela était qualifié de terroriste par le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud”
Le recours au mot terroriste est de bonne guerre. Le président turc, pays membres de l’Otan, ne cesse de qualifier Israël d’État terroriste, au même titre qu’Israël qualifie le Hamas d’organisation terroriste, et ce dès sa genèse, et plus d’une décennie avant le 7 octobre dernier. Au passage, Nelson Mandela était qualifié de terroriste par le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud, le général de Gaulle et la résistance française de terroristes par l’Allemagne nazie, Irgoun, Stern ou la Haganah de terroristes par les Anglais etc.
Par-delà la rhétorique du gouvernement israélien
Ces qualifications ne sont pas innocentes car chaque mot, à force de répétition ou d’interdiction, prépare les masses à une absence de réaction face aux exactions à venir. En effet, tout est permis contre les terroristes et les “animaux” qui ne sauraient revendiquer les droits de l’Homme ! Il en va de même quand Israël et ses porte-voix en Occident qualifient la machine de destruction massive contre les Gazaouis qu’est devenu Tsahal, de “combat de civilisation”, de manière à faire croire qu’il s’agit du combat pour la survie de l’Occident face aux hordes de musulmans sur le point l’envahir
“Ces qualifications ne sont pas innocentes car chaque mot, à force de répétition ou d’interdiction, prépare les masses à une absence de réaction face aux exactions à venir.”
Inconsciemment, ils font appel aux peurs de l’immigration et de l’insécurité en Europe ; Israël devenant en quelque sorte une armée de première ligne de front se battant pour l’Occident. De la sorte, est écartée l’idée d’un peuple colonisé au mépris du droit international luttant pour sa libération, et aujourd’hui, au vu des 30 000 morts à Gaza, tout simplement pour sa survie.
La liberté d’expression en question
Si l’on commence à censurer et à forcer la population à adhérer à un narratif ou à un autre, la notion de la liberté d’expression disparaît. Israël ne doit pas devenir le sujet tabou que l’on n’a pas le droit d’aborder à moins d’utiliser les termes employés par son gouvernement, pour le coup réellement d’extrême droite, avec des ministres qui appellent ouvertement à un nettoyage ethnique de Gaza par le biais de l’expulsion de la population palestinienne vers l’Égypte, comme ça semble se dessiner.
“Les Israéliens, eux au moins, peuvent exprimer leurs interrogations sur les exactions que subissent les Palestiniens de Gaza sans risquer de se faire qualifier d’apologistes du terrorisme”
Ce gouvernement israélien est détesté par au moins la moitié de la population israélienne qui questionne sa politique tant intérieure qu’extérieure. Une simple lecture de la presse israélienne démontre que la liberté de parole en Israël est plus grande que dans certains pays européens dont la France.
Les Israéliens, eux au moins, peuvent exprimer leurs interrogations sur les exactions que subissent les Palestiniens de Gaza sans risquer de se faire qualifier d’apologistes du terrorisme.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans Le Nouvel Economiste du 14/02/2024.