Dans sa volonté de se démarquer de la politique étrangère agressive de son prédécesseur, Joe Biden a fait de la renégociation de l’accord sur le nucléaire iranien l’un de ses principaux objectifs. Quoi de plus naturel pour celui qui, en tant que vice-président, avait activement contribué à ce moment historique pour la diplomatie américaine qu’avait constitué la signature de l’accord de Vienne ? Son investiture le 20 janvier devait donc coïncider avec la fin de la « pression maximale » et la résurrection du Joint Comprehensive Plan of Action.
Malheureusement, depuis le début de l’année, les Etats-Unis et l’Iran échouent à rétablir le dialogue. A ce jour, les sanctions mises en place par l’administration Trump persistent, si bien que l’Iran augmente progressivement mais inexorablement son enrichissement nucléaire, bien au-delà des limites imposées par le JCPoA en 2015. Inflexible, Téhéran a refusé la main tendue par Washington et toute reprise des négociations, estimant à bon droit qu’il revient d’abord aux Etats-Unis, pays signataire qui a décidé unilatéralement de se retirer de l’accord, de le réintégrer en levant l’intégralité des sanctions imposées à la République islamique. Pour l’heure, nul n’accepte de faire ce pas en avant. Mais à trop tergiverser, les Américains pourraient bien laisser s’échapper le kairos, le bon moment pour agir auprès de l’Iran.
Washington est en réalité pris entre deux feux. Ses hésitations traduisent la crainte d’une réaction très vive de ses alliés au Moyen-Orient, qu’il s’agisse d’Israël ou des pétromonarchies sunnites du Golfe Persique, l’Arabie Saoudite en tête, si des concessions étaient accordées à l’Iran. Mais elles inquiètent ceux qui, au sein de l’administration Biden, souhaitent un rapprochement irano-américain et savent qu’en la matière, seule la rapidité d’action sera gage de succès avant que le climat diplomatique ne se dégrade davantage.
Car malgré les sanctions qui étranglent son économie depuis bientôt trois ans, l’Iran affiche une étonnante résilience qui lui donne du poids dans les négociations. Autres facteurs de risque pour Joe Biden, l’élection présidentielle iranienne qui aura lieu en juin, et qui consacrera très certainement le retour des conservateurs au pouvoir en Iran, et surtout sa propre lenteur à agir, suspecte aux yeux des Iraniens, qui y voient le signe d’un refus à lever les sanctions.
Ainsi, aux yeux du ministre iranien des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, aucun changement stratégique n’a pu être observé malgré l’alternance politique à Washington, ce que réfute Robert Malley, l’envoyé spécial américain pour l’Iran, qui estime que l’échec de la « pression maximale » la relègue de facto au passé. Mais le point de blocage reste le même : si les Américains se disent prêts à négocier, ils se refusent pour des raisons diplomatiques à accepter le tempo de Téhéran et à lever les sanctions. A force d’attendre, Joe Biden aura donc non seulement du mal à renégocier le JCPoA en abordant les « sujets qui fâchent » – l’influence régionale de l’Iran, son programme balistique et ses nombreux prisonniers binationaux – et sur lesquels les conservateurs opposent une fin de non-recevoir, mais aussi à obtenir les accords de suivi que ses alliés réclament.
Temporiser reste pour Washington un calcul hasardeux. Car si Robert Malley estime que les prochaines élections en Iran n’influencent en rien la stratégie américaine, il est évident qu’à l’inverse, elles orientent les décisions du Guide Suprême Ali Khamenei. En vérité, la stagnation de la situation le sert, car une levée des sanctions et une réouverture économique, en redonnant de l’espoir aux Iraniens, pourraient en effet profiter davantage aux réformateurs, artisans du JCPoA, qu’à l’aile dure du régime. La morosité actuelle en Iran promet de se traduire dans les urnes par une très forte abstention, et donc par une plus forte probabilité de placer un « ultra » à la tête du pays. Les conservateurs font en outre campagne sur le fait que l’Iran continuera à remettre en cause leur hégémonie – et celle de leurs alliés locaux – au Moyen-Orient en dépit de la « pression maximale » qui, au demeurant, aura permis à Téhéran de se dégager de sa dépendance à la rente pétrolière et de nouer de nouveaux partenariats économiques en Asie.
L’impatience commence donc à monter à Washington, où les partisans de la paix avec l’Iran s’agacent de la lenteur de Joe Biden et déplorent sa décision de frapper ses proxies en Syrie. La stratégie de Donald Trump semble avoir tout de même laissé quelques traces chez certains officiels américains, persuadés que les démonstrations de force augmenteront leurs marges de manœuvre lors des négociations. Or, cette dangereuse escalade ne peut être que contreproductive : alors que les Etats-Unis accumulent les crises – sanitaire, sociale, et diplomatique avec la Chine et la Russie – leur stratégie actuelle face à l’Iran risque de ne pas apaiser le Moyen-Orient, mais au contraire d’en faire, à nouveau, un problème majeur pour la politique étrangère américaine.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 21/03/2021.