En Iran, les fêtes de Norouz, le Nouvel An iranien, ont été tristement marquées par le nouveau bilan officiel de l’épidémie de coronavirus : 1284 morts, avec 149 décès supplémentaires en une journée, le plus grand nombre de morts quotidiens depuis le début de la pandémie, et on comptait au 19 mars au moins 18 407 cas de personnes infectées. A ce jour, 4300 personnes ont guéri. Pour autant, dans cette période qui ouvre traditionnellement deux semaines de vacances et donc de déplacements pour la plupart des Iraniens, les autorités leur ont demandé de rester confinés à leur domicile, mais sans restriction sévère.
Même s’il ne compte pas autant de décès que la Chine ou, à présent, l’Italie, l’Iran reste l’un des principaux foyers de l’épidémie de coronavirus dans le monde. La situation est d’autant plus inquiétante pour les Iraniens et, plus largement, pour le Moyen-Orient, que les chiffres réels semblent, d’après le personnel hospitalier iranien, largement sous-estimés.
Apparue vraisemblablement sur le territoire début février, l’épidémie n’a cessé de se propager à travers le pays, principalement en raison du manque de réactivité du régime, partagé entre discours complotiste, calcul politique à courte vue et absence de mesures sanitaires drastiques coordonnées. Trop peu, trop tard… Les Iraniens grondent déjà depuis plusieurs semaines contre les autorités, accusées d’avoir caché la gravité de l’épidémie. Les célébrations de la fête nationale du 14 février, suivies le 20 février des élections législatives, ont très clairement incité le régime, déjà fort malmené par la population depuis l’automne dernier, à garder le silence sur la réalité des risques dans le but d’éviter une forte abstention aux élections et de perdre encore un peu plus le soutien des Iraniens.
Ce fut, encore une fois, un très mauvais calcul de la part de la République islamique, puisque l’épidémie aggrave les crises politiques et économiques que subit l’Iran depuis deux ans. Le pays pâtit très clairement d’un manque de consensus au sein du régime, totalement indécis face à l’urgence de la situation.
Ainsi, vendredi dernier, le chef d’Etat-major des forces armées, Mohammad Hussein Bagheri, prévoyait de mettre Téhéran et les provinces les plus touchées en quarantaine avec l’aide de l’armée et des milices du Bassidj, comme les gouverneurs des provinces le demandent depuis plusieurs semaines. Mais ce n’est que lundi 16 mars que les autorités ont enfin décidé de fermer les sanctuaires de Qom et Mashhad, lieux de pèlerinages qui attirent chaque année des milliers de fidèles et probables points de départ de la pandémie il y a un mois et demi, ainsi que les écoles.
Comment exiger de la population qu’elle suive des consignes strictes alors que les pouvoirs publics renvoient l’image d’une confusion totale ? En dépit de la gravité de la situation, le président Hassan Rohani a formellement rejeté pour l’heure toute mise en quarantaine de la population, essentiellement pour préserver le peu d’activité économique qui subsiste en Iran. Les frontières avec les pays voisins sont en effet déjà fermées depuis plusieurs semaines, et les exportations d’hydrocarbures considérablement réduites en raison des sanctions économiques américaines. C’est ainsi sur la seule consommation domestique que repose toute une économie. Mais cette décision reste néanmoins un pari hautement risqué, alors que l’épidémie ne montre aucun signe de ralentissement.
Car l’impréparation du régime, couplée aux sanctions, aggravent la situation sanitaire de l’Iran et facilitent la propagation du virus. Bien que la « pression maximale » épargne théoriquement les biens médicaux et les médicaments, son impact depuis deux ans a malgré tout largement réduit les capacités du secteur médical iranien pour faire face à une telle épidémie. Comment commander masques, gels hydroalcooliques, et même médicaments auprès d’entreprises européennes, lorsque les Etats-Unis ont interdit tout échange commercial avec l’Iran ? Comment contourner ces sanctions lorsque les banques iraniennes se voient interdire toute transaction avec l’étranger ? Fin février, un membre de l’Association iranienne des importateurs de matériel médical confirmait auprès des médias que les sanctions empêchaient l’Iran de se fournir en kits de dépistage du coronavirus.
En outre, dans un contexte économique particulièrement contraint, les budgets des différents ministères, dont celui, pourtant essentiel, de la santé, ont été revus à la baisse. Le personnel médical et la population iranienne, en payent aujourd’hui le prix. Déjà l’année dernière, l’ONG Human Rights Watch rappelait que la « pression maximale » avait empêché les médecins iraniens de soigner correctement les patients atteints de cancers ou de maladies rares, tandis que la hausse des prix empêche de longue date de nombreux Iraniens modestes d’acheter les médicaments qui leur sont nécessaires.
Dans un tel contexte, le maintien des sanctions économiques américaines est dramatique et risque d’entraîner une catastrophe humanitaire sans précédent. En début d’année, la Suisse avait commencé à mettre en place un canal humanitaire permettant à l’Iran d’importer des biens médicaux, mais celui-ci ne peut fonctionner sans l’assentiment du Trésor américain et par ailleurs, avec les fermetures des frontières autour de l’Iran et les restrictions sur les acheminements, toute livraison prendrait plusieurs semaines.
En l’absence de tout mécanisme de contournement efficace des sanctions, la Banque centrale iranienne a demandé instamment au FMI un prêt exceptionnel de 5 milliards de dollars pour lutter contre l’épidémie. Aux Etats-Unis même, des voix comme celle de la députée démocrate Ilhan Omar s’élèvent pour demander à Donald Trump de lever ces sanctions par solidarité envers le peuple iranien, qu’il clame pourtant défendre et soutenir depuis le début de son bras de fer avec la République islamique. Début mars, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif avait déjà fait appel au Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour que la communauté internationale fasse fi des sanctions ou demande leur levée : « Alors que le Covid-19 fait des ravages en Iran, souvenons-nous que ce virus ne fait pas de discrimination. Pour le battre, les hommes doivent faire de même » relayait-il sur Twitter. Pour l’heure, même si certains pays ou organisations ont répondu positivement à cet appel et se sont déclarés prêts à envoyer des moyens humains et matériels à l’Iran, le manque de clarté des sanctions rendent la mise en place d’une aide humanitaire particulièrement difficile, malgré l’urgence.
Sans action rapide de la part de la communauté internationale pour redonner à l’Iran les moyens de lutter contre la pandémie, le pays déplorera bientôt plusieurs dizaines de milliers de morts sur une population de 80 millions d’habitants. Comme résignées face à l’inévitable, les autorités ont déjà commencé à creuser des fosses communes, aussi longues qu’un terrain de football, dans le cimetière de Qom, d’où est partie l’épidémie.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 22/03/2020.