La corne de l’Afrique a toujours été une source de convoitise pour l’ensemble des puissances militaires, de l’ère coloniale à ce jour. La France y a installé sa présence militaire en 1884. Cette présence perdure jusqu’à ce jour. Les Anglais, pour leur part, s’y installent en 1838. En effet, l’importance économique de cette voie d’accès qu’est la mer Rouge et son accès direct aussi bien à la Méditerranée via le canal de Suez et à l’océan Indien par le détroit séparant Djibouti du Yémen, le fameux Bab-el-Mandeb, n’est plus à démontrer. 30 % du pétrole brut mondial est transporté via ce détroit qui revêt ainsi une importance stratégique réelle.
Aujourd’hui, au delà de l’importance stratégique de cette voie maritime en ce qui concerne le transport des hydrocarbures, les enjeux de la guerre civile au Yémen contribuent à rendre la corne de l’Afrique éminemment sensible. En revanche, Djibouti, a été et demeure, le seul pays stable de l’ensemble de la Corne d’Afrique avec des institutions d’un Etat de droit. C’est ce qui a fait que le pays a été retenu par un certain nombre de puissances comme le socle de leur présence régionale. C’est ainsi, qu’outre la base française, les Etats-Unis, le Japon, la Chine et l‘Allemagne y ont installé également une présence militaire qui, sans porter le nom de « base », en comporte néanmoins toutes les caractéristiques.
L’installation de ces bases, initialement motivée par la lutte contre la piraterie, qui fut un fléau majeur en mer Rouge cette dernière décennie, trouve avec le conflit au Yémen une importance nouvelle. C’est d’ailleurs ce conflit qui a poussé les Emirats Arabes Unis à investir à Berbera en Somaliland, 442 millions de USD dans la construction d’un port à eau profonde. Il s’agit là du plus grand investissement effectué en Somaliland d’après les dires de Saed Abdullahi Hassan, le responsable du port de Berbera. Or, cet investissement principalement motivé par des raisons politiques, risque de bouleverser la donne géopolitique régionale. En effet, Somaliland, qui existe à l‘intérieur des frontières de l’ancienne entité de Somaliland Britannique, cherche à faire sécession de la Somalie et a, à plusieurs reprises, proclamé son indépendance. Ces déclarations n’ont rencontré cependant qu’un succès mitigé puisqu’aucun pays au monde n’a accepté de reconnaitre la souveraineté de ce pays en devenir. Par ailleurs, un tel investissement ne manquera pas d’entériner les prétentions à l’indépendance de ce pays et réduira les perspectives de la réunification de la Somalie au grand dam de la communauté internationale.
Ce qui est particulièrement dommage, c’est que les Emirats cherchent à travers cet investissement à affaiblir la Somalie qui serait proche du Qatar. Ainsi, la présence émiratie en Somaliland n’est que la continuité d’une guerre d’influence qui oppose le Qatar à l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unies. Avec la construction du port de Berbera, les Emirats contrôleront cependant les deux côtés de l’entrée du Bab el-Mandeb. Rappelons, que préalablement à cette décision d’investissement, les Emirats étaient en négociation avancées avec Djibouti sur la construction d’un nouveau port.
Djibouti, anciennement une colonie française ayant accédé à l’indépendance en 1977 avec une population d’un peu moins d’un million d’habitants, continue d’être le récipiendaire de la seule base américaine en Afrique, dénommée Cap Lemonnier, et qui sert de quartier général d’Africom, commandement militaire crée en 2008. Cette base, sert également au Combined Task force-Corne de l’Afrique, destinée à combattre les organisations extrémises dans l’Est africain. Cette base, qui sous Obama a vu 1,4 milliards de dollars d’investissement, héberge 4500 membres de l’armée américaine. C’est au départ de cette base que les drones d’attaque américains ciblent des objectifs en Somalie et au Yémen. Les Chinois, pour leur part, ont construit leur première base à l’étranger à Djibouti. Même les Saoudiens ont signé un accord avec Djibouti pour l’installation d’une base militaire.
L’intérêt de tant de pays pour Djibouti, par rapport à Somaliland, traduit pour le moins la stabilité de ce pays, membre reconnu de la communauté internationale. In fine, le choix entre Djibouti et Somaliand, se réduirait entre un pays reconnu, membre à part entière du Concert des Nations et un Rogue State («Etat voyou »).
Par Ardavan Amir-Aslani.
Article paru dans Le Nouvel Economiste du 11/04/2019.