Pour l’avocat Ardavan Amir Aslani, « Erdogan a une base électorale particulièrement fidèle, des personnes qui ne regardent pas l’avenir de la Turquie exclusivement à travers le prisme économique », ce qui pourrait jouer dans sa réélection.
« Erdogan est parti pour être réélu », a estimé lundi 15 mai sur franceinfo Ardavan Amir Aslani, avocat et essayiste qui publie La Turquie, nouveau califat ? aux éditions de l’Archipel. Selon les derniers résultats portant sur 95% des bulletins de l’élection présidentielle en Turquie, Recep Tayyip Erdoğan se situait sous la barre des 50% des voix, Kemal Kiliçdaroglu totalisait tout juste 45% des voix et le troisième candidat, le dissident nationaliste Sinon Ogan, est crédité d’environ 5% des voix.
« Cinq points d’écart, c’est quand même difficile à rattraper », analyse-t-il. Selon lui, « Erdogan a une base électorale particulièrement fidèle. Des personnes qui ne regardent pas l’avenir de la Turquie exclusivement à travers le prisme économique », explique-t-il. Le président sortant Erdogan et Kemal Kiliçdaroglu se préparent au deuxième tour prévu le 28 mai prochain.
franceinfo : L’opposition à Erdogan s’est-elle réveillée avec la gueule de bois ce lundi matin ?
Ardavan Amir Aslani : C’est incontestable. Tous les analystes les donnaient gagnants avec une victoire dès le premier tour. On constate effectivement qu’il n’y a pas que les critères économiques qui ont pesé dans la balance. Les arguments d’Erdogan au niveau de la position de la Turquie dans la communauté internationale, l’industrie de l’armement, le nationalisme, le panturquisme, l’importance qu’il accorde à l’islam dans la société ont pesé également dans cette élection.
Les critiques récurrentes sur l’autoritarisme d’Erdogan ont trouvé peu d’échos ?
Un certain écho incontestable puisqu’il est en ballottage. C’est la première fois. Erdogan est une bête politique. Ça fait 20 ans qu’il est au pouvoir. Il a gagné quatorze élections régionales et nationales. Le candidat de l’opposition, Monsieur Kiliçdaroglu, n’a jamais été élu à aucune fonction, c’est un haut fonctionnaire. Erdogan a une base électorale particulièrement fidèle. Des personnes qui ne regarde pas l’avenir de la Turquie exclusivement à travers le prisme économique. Malgré un tremblement de terre abominable et une gestion totalement grossière de la situation, malgré une inflation à 60%, malgré une baisse des investissements étrangers, malgré la position de la Turquie radicalisée à l’échelle internationale, Erdogan arrive en tête de liste avec presque cinq points d’écart avec le candidat de l’opposition.
L’opposition a-t-elle encore une chance ?
Je ne le pense pas, à moins qu’il y ait un événement majeur qui va bouleverser la donne, Erdogan est parti pour être réélu. Cinq points d’écart, c’est quand même difficile à rattraper, surtout que le camp de l’opposition a fait vraiment une collection complète de tous ceux qui étaient contre Erdogan. Il n’y a pas de réserve. Ces élections se présentent comme un véritable référendum sur la personne d’Erdogan. Est-ce qu’on veut un régime présidentiel relativement autoritaire ou ce qu’on veut un pouvoir démocratique à l’européenne ? C’est un référendum majeur à cette date anniversaire qui célèbre le centenaire de la République turque. Erdogan c’est l’anti-Atatürk. Atatürk a créé la Turquie pour que la Turquie devienne un pays séculier laïc avec une vision pro-européenne. Aujourd’hui, c’est l’inverse.
Quel est le poids de l’islam dans ce résultat ?
Erdogan a trois arguments majeurs pour lui, qu’il ne cesse de développer. D’abord et avant tout l’importance de l’islam qu’Atatürk avait essayé de balayer. Cet islam ne se manifeste ne serait-ce que dans la rue. Il y a 40 ans, quand je suis allé pour la première fois en Turquie, place Taksim, qui est une place emblématique à Istanbul. Il n’y avait pas une seule femme avec foulard, aujourd’hui il n’y a pas une seule femme qui ne porte pas le foulard. Ce côté islamique se traduit également au niveau des nominations. En 2016, quand il y a eu le coup d’État avorté à l’encontre de la personne d’Erdogan, il a profité de la situation pour désigner à des fonctions de responsabilité dans les armées, dans la justice, à l’université, au sein des médias, des personnes qui sont inféodées à sa pensée idéologique ou qui relèvent de son camp.
Erdogan a dit qu’il respectera le résultat des urnes lors du second tour. Que ferait-il s’il était battu dans quinze jours ? Peut-il être le Trump turc ?
Il peut parfaitement l’être. Le simple fait qu’il ait reconnu que pour le cas où les élections devaient donner raison à l’opposition, il allait se retirer, prouve qu’il se voit déjà gagnant. J’ai toujours cru que même s’il devait perdre les élections, ce n’est pas pour autant qu’il perdrait le pouvoir. Mais c’est un homme qui raisonne en termes de conflit et de cabale. Dimanche, il a dit que c’est Biden, le président américain, qui avait appelé à un vote massif contre lui. C’est quelqu’un qui se voit déjà reconduit pour un autre mandat.
Pour l’Union européenne, Erdogan est-il un allié ou une menace ?
Sûrement une menace. Erdogan est convaincu de l’importance de la Turquie, du renouveau de la Turquie avec un regard fantasmé sur le passé de l’Empire ottoman. Il est membre de l’Otan, certes, mais tous les jours, l’aviation turque a des heurts avec l’aviation grecque. C’est quelqu’un qui insulte la personne du président de la République française. C’est quelqu’un qui ordonne à sa marine de pointer ses canons sur un bâtiment français qui exerce sa mission dans le cadre d’une mission de l’Otan. C’est quelqu’un qui a une vision particulièrement pragmatique sur la situation en Ukraine par exemple. Il considère que la Turquie devra avoir son mot à dire sur la question des Tatars en Crimée. C’est quelqu’un aujourd’hui qui ne cesse d’avoir recours à des chantages sur la population de réfugiés sur son territoire, en faisant payer l’Union européenne : six milliards d’euros. Il a arrêté la démarche vers l’Ouest pour entamer un virage à l’Est toute.
Paru sur France Info.