A un mois de l’élection présidentielle, la publication des candidatures jugées conformes pour le scrutin par le Conseil des Gardiens a créé un séisme en Iran. En vérité, nul n’est surpris de n’y voir aucun candidat réformateur majeur. Des sept candidatures restantes sur les 600 examinées, cinq appartiennent à l’aile conservatrice voire ultra-conservatrice de la République islamique, ne laissant que deux candidats réformateurs de moindre envergure en lice.
C’est la liste des exclus qui frappe bien davantage que celle des retenus : l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad et surtout Ali Larijani ont été écartés. L’absence de l’ancien président conservateur de l’Assemblée consultative islamique d’Iran a suscité un grand étonnement en Iran, en vertu de sa longue carrière politique, de la renommée de sa famille et de ses liens tant avec les clercs chiites de Qom qu’avec l’establishment de Téhéran. Conservateur mais pragmatique, Larijani représentait un véritable danger pour le candidat favori d’Ali Khamenei, l’actuel chef de l’autorité judiciaire Ebrahim Raïssi. Très présent sur les réseaux sociaux et critique envers ses rivaux, soutenu par le président sortant Hassan Rohani dont il pouvait poursuivre la politique d’ouverture envers l’Occident, Larijani était susceptible de séduire sa base électorale, cette jeunesse iranienne éduquée qui rejette le candidat de l’aile dure du régime.
Sa mise à l’écart est donc significative, tout comme le choix délibéré d’éviter toute candidature réformatrice jugée « dangereuse » : celle d’Eshaq Jahangiri, vice-président d’Hassan Rohani, ou de Mohsen Hashemi Rafsandjani, fils de l’ancien président de la République islamique. La partialité du Conseil des Gardiens démontre la volonté du camp conservateur de ne pas perdre une élection qui pourrait leur donner le dernier levier institutionnel qui leur manque.
Mais sécuriser la candidature de Raïssi pourrait aussi avoir un coût élevé en entamant la légitimité déjà vacillante du régime. A cet égard, les réactions de l’opinion publique iranienne et de personnalités emblématiques du régime sont de mauvais augure. Les sondages officiels prévoient déjà le plus faible taux de participation jamais enregistré à une élection depuis 1979. Marquée au quotidien par le poids des sanctions et la gestion chaotique de la crise sanitaire, la population iranienne aspire au changement, mais voit une fois de plus l’exercice de ses droits démocratiques réduit comme peau de chagrin. Le propre petit-fils de l’Imam Khomeini a rappelé publiquement que nier au peuple iranien le droit de choisir ses représentants politiques allait à l’encontre de l’esprit de la République islamique, dont la légitimité est à la fois religieuse et populaire.
Embarrassé par ces critiques, Ebrahim Raïssi a exprimé sa propre consternation de voir certains éminents candidats exclus de la liste, lui qui s’était présenté comme un concurrent ouvert à la compétition et au pluralisme. Mais la déclaration, évidemment calculée, vise surtout à lui permettre de rester crédible comme candidat à l’élection présidentielle et comme successeur d’Ali Khamenei. Car rien n’interdit au Guide Suprême de contourner la décision du Conseil des Gardiens et d’autoriser certaines candidatures écartées par souci d’équilibre, ce qu’il a déjà pu faire lors de précédentes échéances. A ce stade cependant, Ali Khamenei ne donne aucun signe en ce sens. Le choix de favoriser Raïssi en dit long sur la stratégie des conservateurs, que l’agence de presse Fars, proche des Gardiens de la Révolution, a parfaitement résumé : « Non aux architectes de la situation actuelle ». Une situation actuelle jugée comme une conséquence du rapprochement avec les Etats-Unis et du Joint Comprehensive Plan of Action (l’accord nucléaire du 14 juillet 2015), que les conservateurs entendent résoudre par une influence régionale renforcée, un respect total de la ligne idéologique et sécuritaire du régime et de la Velayat-i-Faqih (la théocratie religieuse).
Raïssi à cet égard remplira dûment le contrat confié par Khamenei et les conservateurs. Son nom est tristement associé à la terrible répression menée par la « commission de la mort » en 1988 contre les opposants politiques, qui aurait entraîné la mort de 5000 d’entre eux d’après Amnesty International. Procureur adjoint puis procureur général d’Iran, président depuis 2016 de l’Astan Qods Razavi, l’une des fondations religieuses les plus puissantes du pays, et chef du pouvoir judiciaire depuis 2019, Raïssi a été nommé à ces deux postes par le Guide Suprême, qui en a fait son bras armé et l’incarnation de la répression du régime. Il aura donc en charge de le préserver de toute révolte populaire.
La manœuvre reste néanmoins un très mauvais signal envoyé aux Iraniens, qui sortent des quatre dernières années exsangues et exaspérés par les défaillances du régime. Une ligne de crête devra donc nécessairement être trouvée entre idéologie et pragmatisme. Ali Khamenei a déjà compris, en soutenant les pourparlers sur le nucléaire iranien qui ont démarré à Vienne en avril, que la seule répression ne suffirait plus à stabiliser le régime. Et quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle, c’est encore à lui que reviennent, pour l’heure, les décisions capitales qui déterminent l’avenir de l’Iran.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 30/05/2021.