La visite du ministre des Affaires étrangères iranien à Djeddah le 18 août dernier est apparue comme une poursuite positive des efforts de normalisation initiés en mars dernier entre l’Iran et l’Arabie Saoudite sous l’égide de la Chine. En juin, c’était l’homologue saoudien d’Hossein Amir-Abdollahian qui s’était ainsi rendu à Téhéran. Pour autant, en dépit d’un échange de 90 minutes avec le Prince héritier Mohammed Ben Salmane, et de plus de trois heures entre les deux ministres, peu d’informations concrètes ont émergé de cette rencontre, ce qui augure difficilement la tournure que prendra la reprise diplomatique dans les prochains mois. Certains signes indiquent cependant une certaine lenteur. Ainsi, tous les canaux diplomatiques n’ont pas été rouverts, ainsi qu’ils devaient l’être au 10 mai selon l’accord signé avec la Chine en mars dernier. L’Iran a bien rouvert ses missions en Arabie Saoudite en juin, pour autant son nouvel ambassadeur dans le pays n’a pris ses fonctions qu’en marge de la toute dernière visite du ministre iranien dans le royaume wahhabite. Riyad pour sa part, tarde encore à faire de même à Téhéran et Mashhad.
Si la volonté de rapprochement et le désir réel de refonder les relations bilatérales entre Téhéran et Riyad sont manifestes, les points de friction subsistent néanmoins et expliquent cette mise en œuvre difficile. Comment en serait-il autrement ? Si le ministre des Affaires étrangères iranien a salué le rôle de l’Arabie Saoudite dans la région, celui-ci a pourtant longtemps été antagoniste des intérêts iraniens. Deux dossiers qui demeurent source de discorde ont vraisemblablement été évoqués lors de sa visite à Djeddah, et en priorité celui du Yémen. Si le cessez-le-feu entre les Houthis et les forces gouvernementales résiste depuis un an et demi – un record depuis le début de la guerre en 2015 – aucune solution politique durable n’a encore été trouvée. L’Iran souhaite qu’un sommet régional soit organisé sous la tutelle de l’Arabie Saoudite, qui pour sa part considère le sujet comme une question de sécurité nationale. Cette perspective demeure donc pour l’heure sujette à caution. Autre dossier d’actualité, la discorde grandissante entre le Koweit, l’Arabie Saoudite et l’Iran autour de la souveraineté du champ gazier d’Arash, disputé entre les trois pays et qui connaît un regain d’intensité ces dernières semaines. A cet égard, Hossein Amir-Abdollahian souhaite ouvrir des négociations afin d’obtenir un dispositif légal et technique qui résoudrait enfin le dossier.
Vaste entreprise que celle d’obtenir une entente entre deux pays rivaux depuis plus de quarante ans… Si l’accord de mars dernier a initié une direction, le véritable travail de négociations, qui doit tenir compte des divergences politiques, religieuses et idéologiques, est à peine commencé. Riyad persiste en effet à considérer l’influence stratégique de l’Iran à travers le Moyen-Orient comme une menace, et réclame désormais sa révision « à très long terme », une concession qui semble impossible à obtenir de Téhéran, alors que les Gardiens de la Révolution dominent toutes les institutions clés de l’État. Néanmoins, l’Iran et l’Arabie Saoudite semblent avoir vraisemblablement compris que l’union faisait la force. Dans une perspective de dynamisation de leurs économies respectives et de stabilisation régionale, l’apaisement apparaît incontournable entre les deux principales puissances du Moyen-Orient, après une rupture durantsept ans. L’heure est désormais à l’écriture d’une « nouvelle page » entre les deux pays, dont l’accord de coopération à long terme qui doit être élaboré constituera l’acte de naissance.
Mais outre ces éléments structurels, la traduction de cette volonté commune se heurte encore et toujours au statut de pays sous sanctions américaines de l’Iran. Alors que Téhéran espère accroître le commerce bilatéral avec l’Arabie Saoudite à hauteur de 17 milliards de dollars par an, cette perspective demeure chimérique en l’absence d’amélioration sur ce dossier, ce que les officiels saoudiens ont clairement signifié pour justifier leur manque d’empressement pour investir en Iran et développer leurs échanges commerciaux.
Le fait que les discussions se soient maintenues officieusement entre Washington et Téhéran afin d’éviter toute escalade des tensions permet néanmoins d’envisager une issue favorable. Violemment contestée par le peuple iranien il y a bientôt un an, la République islamique se sait contrainte de donner des gages économiques et des perspectives positives à une population jeune qui aspire au changement, et qui compare amèrement sa situation avec celle de ses voisins, notamment du Golfe Persique. Tant vantée, la stratégie du « regard vers l’Est » est également de plus en plus contestée au sein du régime, tant la Chine comme la Russie ont donné la preuve de leur manque de fiabilité et d’une propension à ne défendre que leurs seuls intérêts. Alors que son soutien militaire accordé à Moscou constitue une nouvelle ligne rouge pour les Etats-Unis, l’Iran semble avoir compris que l’union de deux pays sous sanctions ne parviendrait pas à constituer un bloc de puissances solides. Alors que le poids de leur lourd passé commun s’ajoute à leurs rivalités géopolitiques et économiques actuelles, la Russie, mais singulièrement l’Iran, semblent depuis quelques mois interroger la pertinence de leur partenariat commun.
Certes, la sortie de l’ostracisme politique passe avant tout par l’entente avec ses propres voisins. Mais pour l’Iran, ce progrès ne pourra vraisemblablement faire l’impasse d’une entente renouvelée avec les Etats-Unis et les Européens. Cet objectif pourrait être compromis par le processus de normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël, ardemment défendu par une administration Biden en quête d’un grand succès diplomatique avant les élections présidentielles de 2024. Aussi l’Iran multiplie t-il les preuves de bonne volonté : entente retrouvée avec l’AIEA, libération de prisonniers irano-américains contre le dégel de près de 6 milliards de dollars d’actifs iraniens détenus en Corée du Sud, influence auprès du Hezbollah afin d’apaiser la situation politique au Liban et éviter l’opposition à l’accord de tracé des frontières maritimes entre le Liban et Israël, temporisation dans le partenariat irano-russe.
La réunion trimestrielle du Conseil des gouverneurs de l’AIEA et la prochaine Assemblée générale des Nations Unies fourniront peut-être l’occasion aux Iraniens et aux Américains de s’entendre sur un accord global, touchant à la fois la question nucléaire, balistique et géostratégique. Un tel accord entraînerait, par effet domino, une nette accélération du rapprochement irano-saoudien, qui pourrait être sanctifié par une visite prochaine de « MBS » en Iran. De fait, la relation bilatérale entre Riyad et Téhéran cache en réalité un triumvirat où les Etats-Unis jouent toujours un rôle prépondérant.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 27/08/2023.