FIGAROVOX/TRIBUNE – La reprise des affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan souligne la faillite de la communauté internationale, garante de la sécurité de la région, déplore Ardavan Amir-Aslani qui voit dans l’approvisionnement de gaz en provenance de Bakou une volonté de ménager l’agresseur.
Plus d’un siècle après le génocide dont leur peuple fut victime sur décision de l’Empire ottoman, les Arméniens se trouvent de nouveau au bord d’une nouvelle catastrophe. Ceux du Haut-Karabagh sont visés, mais depuis le 13 septembre 2022, également ceux de la mère patrie, l’Arménie. Si l’agresseur d’aujourd’hui est l’Azerbaïdjan, l’ombre de la Turquie, à peine dissimulée, se devine derrière Bakou, tous deux unis dans un projet panturquiste qui menace non seulement la vie de milliers d’Arméniens, mais aussi l’indépendance et la sécurité de leur pays et du Caucase.
La guerre «des 44 jours» à l’automne 2020 avait remis en lumière le conflit vieux d’un siècle dans le Haut-Karabagh, ce «confetti» territorial dont le désir d’indépendance est un sujet de discorde récurrent entre l’Arménie, dont les ressortissants peuplent majoritairement le territoire de 4400 km², et l’Azerbaïdjan, qui s’était vu accorder la souveraineté sur l’enclave par Staline en 1921. La chute de l’Empire soviétique et la proclamation de la république autonome du Haut-Karabagh en 1991 avaient remis en cause cet état de fait. Azéris et Arméniens s’étaient alors opposés une première fois pendant trois ans, avant de s’accorder sur un cessez-le-feu incertain qui attribua à l’Arménie sept districts entourant l’enclave, ainsi que 9 % du territoire azéri.
Au cœur de ce conflit extrêmement complexe s’affrontent depuis 30 ans deux légitimités, le droit à l’autodétermination des peuples et le poids d’une histoire multiséculaire, face à l’intangibilité des frontières. Depuis 30 ans surtout, l’Azerbaïdjan rumine sa revanche à l’égard du peuple arménien, nourrit un nationalisme agressif, et met à contribution sa fabuleuse rente pétrolière et gazière pour cimenter ses alliances, notamment avec la Turquie, qui a elle aussi un intérêt culturel et géopolitique dans l’affaire. Face aux conséquences de la guerre en Ukraine, Ankara souhaite en effet développer de nouvelles infrastructures de transport d’hydrocarbures entre l’Azerbaïdjan et son territoire, en contournant la Géorgie jugée trop instable. La querelle autour du corridor du Zanguezour, qui doit relier la zone de Nakhitchevan, sous juridiction azérie, au reste de l’Azerbaïdjan via le sud de l’Arménie, est au cœur de ce projet et explique le soutien sans faille de la Turquie à l’Azerbaïdjan.
À chaque nouvel affrontement, la guerre ouverte menace de dériver en nouveau génocide, comme l’Institut Lemkin pour la prévention des génocides l’a signalé pour la troisième fois en moins d’un an.
Au lancement de l’offensive en septembre 2020 pour reprendre les territoires perdus 25 ans plus tôt, l’Azerbaïdjan avait déjà bénéficié de son assistance logistique et stratégique, notamment de ses mercenaires syriens et de ses drones Bayraktar TB2. L’Arménie, sans soutien direct, n’a pas résisté longtemps à un assaut patiemment préparé. Le cessez-le-feu de novembre 2020 a conservé à l’Azerbaïdjan les territoires conquis au Haut-Karabagh ainsi que le contrôle des sept districts entourant l’enclave, dont les Arméniens ont été chassés.
Loin d’être résolu, le conflit «des 44 jours» n’a donc été que la première étape d’une guerre de conquête qui se poursuit sans relâche pour ôter à l’Arménie toute présence dans la région, qu’elle soit culturelle – avec la destruction systématique du patrimoine religieux arménien – ou humaine – avec l’objectif de reprendre le corridor de Latchine, la seule voie d’accès entre l’Arménie et le Haut-Karabagh, sous contrôle des forces de maintien de la paix russes. Mais face à l’inefficacité du groupe de Minsk – devenu l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe – pour trouver une solution pérenne entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, et face à l’abandon de la Russie, force de maintien de la paix autoproclamée qui faillit à sa mission en raison de son enlisement en Ukraine, les deux prédateurs, la Turquie et l’Azerbaïdjan, ont le champ libre pour satisfaire leurs appétits envers l’Arménie. À chaque nouvel affrontement, la guerre ouverte menace de dériver en nouveau génocide, comme l’Institut Lemkin pour la prévention des génocides l’a signalé pour la troisième fois en moins d’un an.
Ainsi, entre le 12 et le 14 septembre dernier, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont en effet connu une nouvelle crise à l’instigation de Bakou, qui a rompu le cessez-le-feu et frappé directement le territoire arménien pour résoudre la question du statut du corridor du Zanguezour par la force. Bilan des deux côtés: plus de 600 morts. La reprise de ces affrontements frontaliers souligne avec une cruelle acuité la faillite de la communauté internationale, garante de la sécurité de la région mais qui n’a apporté aucune solution à un conflit qui n’a désormais plus rien de gelé.
Affaiblie par ses pertes militaires en Ukraine, l’ancienne grande puissance tutélaire de la région s’avère de plus en plus incapable de « tenir » sa zone d’influence caucasienne, démontrant la vanité de ses ambitions impériales.
La Russie a été la première à manifester sa défaillance. Officiellement soutien de l’Arménie dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective, elle est dénoncée par Erevan comme une alliée sans fiabilité qui ne lui a apporté aucune assistance malgré ses demandes répétées, notamment lors des attaques azéries de septembre dernier contre les villes arméniennes de Goris, Sotk et Jermuk. Affaiblie par ses pertes militaires en Ukraine, l’ancienne grande puissance tutélaire de la région s’avère de plus en plus incapable de «tenir» sa zone d’influence caucasienne, démontrant la vanité de ses ambitions impériales.
L’Union européenne et particulièrement la France sont également à blâmer pour leur action inefficace depuis 30 ans. Certes, les Européens ont pu obtenir à Prague le 7 octobre dernier le déploiement d’une mission d’observation civile à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, avec l’accord des deux parties. Mais au-delà des déclarations, comme celle du président Macron dans son interview télévisée du 12 octobre, qu’a obtenu la France pour protéger les Arméniens? Outre sa mission historique de défense des chrétiens d’Orient, elle accueille la plus importante communauté arménienne d’Europe. Son soutien à Erevan est donc un devoir envers la diaspora et envers une alliée essentielle pour la stabilité du Caucase.