Au grand dam de l’administration finissante de Donald Trump, qui n’a cessé, depuis 2017 et en particulier depuis mai 2018 date de sa sortie de l’accord nucléaire, d’accroître la pression sur l’Iran afin de l’amener à renégocier cet accord, force est de constater, en ce mois de décembre 2020, que l’économie iranienne est toujours debout.
Certes, les revenus pétroliers du pays ont chuté de près de 80% ; le président Hassan Rohani a estimé que les sanctions avaient engendré une perte de 200 milliards de dollars pour les revenus nets de l’étranger et les investissements. Les taux de chômage et d’inflation ont fortement augmenté, et l’économie est à court de devises étrangères. Néanmoins, il semble que les prévisions d’un effondrement rapide aient péché par excès d’optimisme. De fait, l’administration Trump méconnait fortement le niveau de complexité de l’économie iranienne et son habileté à développer des alternatives. Après plus de quarante ans passés sous sanctions internationales, on se doute que l’Iran a su s’adapter pour survivre, et ces leçons continuent d’être appliquées aujourd’hui.
La Banque mondiale et le FMI estiment que le produit intérieur brut de l’Iran baissera de plus de 10% cette année, tandis que Téhéran avance des chiffres plus faibles. Les prévisions des deux institutions se basent essentiellement sur l’analyse de la baisse des exportations du pétrole iranien. Avant le retrait américain de l’accord de Vienne en mai 2018, l’Iran exportait plus de 2 millions de barils de brut par jour. Ce chiffre est estimé aujourd’hui entre 200 000 et 250 000 barils quotidiens, essentiellement destinés à la Chine, l’un des derniers partenaires commerciaux de l’Iran.
Mais à la différence des pétromonarchies arabes du Golfe Persique, dont l’économie repose totalement sur les revenus pétroliers, l’Iran a su se diversifier pour éviter une dépendance totale aux hydrocarbures. L’industrie – qui concerne majoritairement le secteur automobile, la métallurgie et la fabrication de plastique – représente ainsi près d’un cinquième de l’emploi global du pays. Certes, les sanctions américaines restreignent fortement l’accès des entreprises iraniennes aux matières premières nécessaires à la fabrication de certains produits; de plus leur clientèle étrangère est sommée de ne plus faire d’affaires avec l’Iran. Cependant, trois éléments aident le pays à résister à cette pression : tout d’abord un système de paiements informels indépendant des banques, permettant de générer des flux financiers avec l’étranger, ensuite l’exclusion des biens de première nécessité du domaine des sanctions enfin et surtout, des partenaires régionaux solides avec lesquels l’Iran a maintenu des échanges commerciaux et arrangements économiques. On peut citer la Chine, dans une moindre mesure l’Inde, certaines républiques d’Asie centrale et les pays voisins comme la Syrie et l’Irak. Sortis de force du système mondialisé, les Iraniens ont su créer un modèle économique alternatif en re-nationalisant leur production et en régionalisant leurs échanges. En sanctionnant les importations iraniennes, l’administration Trump a ironiquement relancé la production nationale et contribué à créer de nouveaux emplois, même si pas encore en nombre suffisant pour satisfaire les légitimes attentes des Iraniens.
En effet, si l’économie iranienne a démontré une forte capacité de résilience, celle de la population inquiète davantage. Après quarante ans de sanctions internationales et une baisse globale de leur niveau de vie de 20 à 30%, les Iraniens ressentent une profonde lassitude qui peut faire le lit des conservateurs lors des élections présidentielles à venir de mai 2021. Dans un exceptionnel discours, lors de la prière de vendredi dernier qu’il a dirigée pour la première fois depuis huit ans, le Guide Suprême Ali Khamenei a martelé que l’Iran ne céderait pas à la « pression maximale » américaine. Oui, la population iranienne résiste, et elle manifeste, certes pour pleurer à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat, par les américains, d’un général emblématique, mais aussi et avant tout, pour réclamer une normalisation de la vie de leur pays.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Paru dans l’Atlantico du 20/12/2020.