La visite hier du Président iranien à Bagdad traduit le rôle accru que l’Iraq est appelé à exercer aussi bien dans la politique régionale que sur l’échiquier minier des hydrocarbures. L’arrivée au pouvoir de l’ancien vice-président chiite, Adel Abdel Mahdi, et le Président Kurde, Bahram Saleh, tous deux des personnalités respectées, démontre la volonté de ce pays de sortir du marasme dans lequel il s’est retrouvé depuis l’émergence de Daech. Or, avec la fin de l’épisode de l’Etat Islamique, de nouveaux horizons s’ouvrent pour ce pays.
Sur le plan énergétique, l’Iraq connait un véritable bouleversement. Détenant le rang de la cinquième place de par ses réserves pétrolières prouvées, le secteur énergétique a vu sa production doubler les dix dernières années. Les champs pétroliers se trouvant principalement dans le sud du pays dans la région de Basorah, loin des champs de bataille de Daech, sa production a été épargnée. Aujourd’hui, l’Iraq est le deuxième producteur au sein de l’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole, derrière l’Arabie Saoudite avec une production quotidienne de 4,5 millions de baril/jour. Comme le pays consomme beaucoup moins qu’il ne produit, les exportations ne cessent d’augmenter.
La moyenne journalière des exportations a atteint 3,7 millions de baril/jour ce qui place ce pays loin devant l’Iran qui a vu ses exportations se réduire à une peau de chagrin depuis le retrait américain de l’accord nucléaire avec seulement 700 mille baril/jour. Même si l’Asie est le principal acquéreur du pétrole iraquien, 17% de sa production est destinée au marché américain ce qui a pour effet d’ancrer durablement les Etats-Unis sur la destinée énergétique de l’Iraq. Les experts considèrent que l’Iraq pourra exporter 6 millions de baril/jour à l’horizon 2030 et dépasser la production saoudienne dix ans plus tard.
C’est parce que tout reste à faire et qu’il faudra reconstruire toute l’infrastructure du pays après tant d’années de destruction et de guerre que l’Iraq est aujourd’hui probablement le plus grand marché d’infrastructures pour les acteurs du secteur. Le voyage du Président de la République française prévue pour fin avril traduit l’importance que le marché iraquien revêt pour les acteurs industriels français. L’Elysée a même encouragé la création d’une commission franco-iraquienne des affaires afin de pousser les entreprises françaises vers ce marché qui fut traditionnellement attractif pour les grands groupes du CAC 40 français.
Sur le plan de l’influence politique, l’Iraq marque des points également. Pays arabe mais chiite, il se situe au carrefour du monde iranien et du monde arabe. Le pouvoir actuel joue un rôle délicat entre l’Iran et l’Arabe Saoudite ainsi qu’entre l’Iran et les Etats-Unis. En interdisant à Washington d’utiliser sa présence militaire en Iraq afin de contrer l’expansionnisme iranien, Bagdad a marqué des points avec Téhéran. Parallèlement, jouant sa carte de l’Arabité, l’Iraq essaie de se rapprocher des pétromonarchies du golfe persique. A un moment où un conflit d’influence est engagé entre l‘Iran et les Etats-Unis sur le choix des derniers postes vacant au sein du gouvernement iraquien, c’est à dire les postes sensibles des Ministères de l’Intérieur et de la Défense, les différents candidats font l’aller et retour avec les pays belligérants afin de démontrer leur indépendance.
Ce n’est qu’ainsi que Bagdad pourra surfer sur les vagues de cette région du Moyen-Orient où autant d’intérêts contradictoires s’opposent.
C’est là le gage de sa stabilité et de sa survie à long terme.
Par Ardavan Amir-Aslani.
Article paru dans Le Nouvel Economiste du 14 mars 2019.